Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/939

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regard calme et indulgent les faits qui nous scandalisaient hier, ceux qui nous scandaliseront demain et qui tombent présentement sous la vindicte publique. Elle renverra dos à dos les conservateurs, d’honnêtes gens en général, les révolutionnaires, d’ordinaire violens et peu scrupuleux, blanchis lentement par la suite des jours. J’admire qu’on puisse se passionner pour les récriminations des partis, quand on a lu cent pages d’histoire. Mais les droits de la morale et les principes régulateurs de nos actions ? — Il n’y a peut-être qu’un moyen de leur trouver une place : c’est de maintenir que le mal est le mal, mais en admettant qu’il s’use à la longue, comme toutes les choses de ce monde, et s’abolit par l’universelle prescription. Ces déduits ne sont pas commodes. D’ailleurs, pour qui unit une conscience timorée à un grain de philosophie, il est toujours facile de ne pas plus toucher à la politique qu’aux machines infernales dont on ignore les lois d’éclatement. Allez au cloître, philosophe ! La règle y est sûre, et il n’y a que celle-là de sûre ; les autres règles de nos jugemens sont trop boiteuses, dès qu’on les regarde d’un œil froid et désintéressé, en prenant un peu de champ dans les siècles.

Hyde de Neuville ne s’embarrassait pas dans tous ces replis de pensée. Il avait le sang chaud et une belle combativité. Marie-Antoinette est encore au Temple ; son chevalier n’a qu’une idée, délivrer la reine. Il est de tous les complots que l’on ébauche, il les prépare de moitié avec le brave inspecteur Michonis. Il passe une nuit rue Charlot, le pistolet au poing, croisant les complices inconnus qui attendent comme lui le mouvement dont on les a leurrés. Il se compromet si bien qu’une amie de sa famille, Mme de Congy, l’enferme sous clé dans un galetas.

C’est en de pareils gîtes et sous une kyrielle de faux noms que l’on va perdre et retrouver sa trace jusqu’en 1805. Il s’embrouillait lui-même dans ses noms de guerre ; de telle sorte qu’un jour, dans une de nos légations à l’étranger où son introducteur l’avait annoncé sous un sobriquet convenu, il en jeta un autre à l’huissier et faillit payer cher son double personnage. Aux momens critiques, c’est toujours une femme, souvent une inconnue, qui lui donne asile et le chambre dans quelque cachette ; modistes, parfumeuses, dames de qualité, toutes lui furent bienveillantes et fidèles ; on s’explique ce bonheur persistant en regardant son portrait à vingt ans, gravé en tête du tome III. Tel devait être Chérubin chez la comtesse ; avec cet air de visage, irrésistible de grâce juvénile, il ne pouvait manquer d’intéresser. Si je ne connaissais le scrupule de l’éditeur des Mémoires, rien ne m’ôterait de l’idée qu’on a remanié les récits et les correspondances, pour les mettre au point d’une gravité impeccable.