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C’est un sol humide, presque boueux. En Asie centrale, la chose est assez rare pour étonner. D’ailleurs il ne faudrait point croire que le delta présente uniformément ce caractère.

Terrain humide, marécages, lacs, pauvres tentes dressées auprès de quelques rares champs de culture, c’est l’aspect du sud du Delta. Grandes plaines où perce encore l’aridité du sable avec çà et là quelques monticules, tel est l’aspect de la partie septentrionale.

Mais reprenons la barque et flottons vers Tchimbaï.

Toujours ces digues qui bordent les rives, si bien qu’il faut se mettre debout dans la barque pour voir le paysage, paysage d’ailleurs peu intéressant. Quelques champs cultivés au milieu de landes en friche, bouquets de bois indiquant des jardins, tentes de nomades défilent devant nous. C’est une nature sauvage et inculte ; parfois d’épais rideaux de broussailles couvrent les bords du lit et on descend au milieu de rives vertes. Nous sommes chez les Karakalpaks, et la nuit on s’arrête auprès d’un groupe de leurs tentes.

Au matin on repart. Mais à peine deux heures de marche, et on s’arrête de nouveau.

— Quoi encore ?

— Nous allons entrer dans l’harik allant à Tchimbaï, le Kéguéili, me dit le guide.

L’entrée est assez difficile, à cause de la vitesse avec laquelle l’eau s’y précipite, car il y a une assez grande différence de niveau, le Kouvan-Djerma étant au-dessus du sol et le Kéguéili à ce niveau.

Les indigènes travaillent à l’embouchure de cet harik.

— Il y a trop d’eau dans l’harik, me dit le chef indigène, dirigeant les travailleurs.

Aussi ils mettent des fascines, diminuant l’ouverture de l’harik. Les gens dirigent l’eau, modifient le courant avec une facilité qui étonne, mais comme une chose qui leur semble toute naturelle.

Le Kéguéili, qui naît à 22 verstes au-dessous de la tête du Kouvan-Djerma, est le canal le plus important de ce bras du fleuve. Ses eaux employées pour les irrigations ne vont point à la mer et arrosent le district de Tchimbaï, qui est le plus riche du delta ; 350 hariks secondaires en sortent.

Laissons donc le Kouvan-Djerma rouler à la mer ses eaux au milieu de forêts et de marais garnis de roseaux, et suivons le nouvel harik.

Les digues enserrent son cours sinueux, qui se rétrécit de plus en plus par suite des nombreuses prises d’eau qu’il alimente. Singulier pays que ce delta ! On ne saurait le comparer aux autres