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parties du centre de l’Asie, car l’eau y abonde, et la race demi-nomade qui y vit s’occupe peu de cultiver le sol. Tandis que la terre irriguée manque dans les autres parties d’Asie, elle est ici en abondance. Elle n’a point de valeur. La prend qui veut.

La culture du sol la plantation d’arbres vaut titre de propriété. Les champs cultivés s’étalent en longues bandes autour des hariks secondaires et des fossés distribuant l’eau dans les champs. Au-delà, c’est un terrain vague que les broussailles envahissent, que paissent les troupeaux, terrain irrigable qu’un peu de travail permettrait de mettre en valeur. Les champs ne sont pas entourés de murs, parfois des haies vives les limitent, et cette particularité contribue à donner au pays un aspect spécial.

— Les sauterelles ! me dit l’interprète.

Il m’indiqua un gros nuage noircissant l’horizon. On eût dit une nuée de sansonnets, l’hiver, dans les plaines de France.

— Il y en a beaucoup, me dit-il, et cette année elles ont fait de grands ravages.

Elles approchent, on dirait une neige grisâtre restant en suspension dans l’air et tamisant les rayons solaires. Elles passent si près de nous que les hommes en prennent quelques-unes avec les mains.

C’est un peu avant Tchimbaï que le hasard de la route me fit visiter sur les bords de l’harik des constructeurs de barques. Ils avaient établi un hangar pour s’abriter du soleil. Nus jusqu’à la ceinture, ils s’escrimaient avec de lourdes haches sur des morceaux de bois. Ces barques, dites kaïouk, ont une longueur de 10 à 15 mètres ; leur tirant d’eau, quand elles sont chargées, est de 0m,70 à 1 mètre. Ce sont des bateaux plats. Le devant et l’arrière sont semblables. Les morceaux de bois formant le bateau sont courts et épais, réunis entre eux par un morceau de bois en double queue d’aronde, ou par une lamelle de bois s’enclenchant au cœur des pièces à ioindre, et le tout fixé par des chevilles.

Il n’y a jamais de côté ou tirant en bois. La pression de l’eau se balance par deux ou trois tiges transversales. Les bords sont garnis d’un faisceau ou long fagot de branchages attaché par des ficelles ou tiges flexibles au bord, de la barque, pour la garantir des frottemens qui pourraient détériorer le bois. Une rame à l’arrière sert de gouvernail ; il faut de cinq à huit rameurs par kaïouk.


VII. — TCHIMBAÏ.

Assise sur les deux rives de l’harik, la ville de Tchimbaï s’élève dans une grande plaine, dans une steppe irriguée, et les ados entre lesquels coule le Kéguéili dominent seuls l’immense pays plat ;