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mieux. Il n’existait ni loi ni ordonnance pour imposer et pour régulariser des mesures préventives, mais la toute-puissance des parlemens et le zèle des municipalités y suppléaient.

Le premier soin des autorités, dans une ville ainsi menacée, consistait à nommer un bureau ou conseil de santé dont les pouvoirs étaient sans limites. Pendant la durée de l’épidémie, il avait droit de vie et de mort sur les particuliers, pour tous les cas qui compromettaient le salut public ; il avait le droit de taxe et de réquisition en argent, en denrées, ou en corvées. Ses sentences étaient sans appel. Il commençait par expulser les gens sans aveu, les vagabonds, les mendians et les étrangers. Il accordait un délai de quelques heures aux habitans qui voulaient quitter la ville et, ce temps expiré, on en fermait toutes les portes, sauf une, qu’on réservait pour les communications indispensables. À une petite distance de celle-ci, on installait un marché où les vendeurs déposaient leurs denrées, où les acheteurs venaient les prendre ensuite, sans qu’il y eût de contact entre les uns et les autres.

Lorsque, malgré ces précautions, le fléau pénétrait dans la ville, le gouvernement la faisait entourer par un cordon de troupes, afin que personne n’en sortît. Si le nombre des soldats le permettait, le cordon sanitaire était établi à une lieue de la ville, afin de laisser aux habitans une zone à cultiver. Il était interdit aux soldats de s’avancer de plus de dix pas sur cette zone intermédiaire, et ils avaient ordre de faire feu sur les habitans qui chercheraient à forcer le blocus. Les chiens et les chats qui réussissaient à passer entre les mailles de ce filet étaient détruits sans pitié.

Lorsque les portes étaient closes, le bureau de santé divisait la ville en quartiers et assignait à chacun d’eux un administrateur auquel il déléguait ses pouvoirs. Il répartissait à sa guise les médecins et les chirurgiens ; il désignait ceux qui devaient s’enfermer dans les hôpitaux avec les pestiférés et ceux qui devaient aller visiter les malades en ville. Il imposait à qui bon lui semblait les fonctions d’infirmier et d’infirmière. Ces redoutables pouvoirs ne s’arrêtaient pas là. Il avait le droit de séquestrer, non-seulement les pestiférés, mais tous ceux qui étaient susceptibles de le devenir, de pénétrer dans les maisons et d’arracher les gens suspects à leurs familles, souvent même sans que les médecins eussent prononcé.

Dans cet état d’affolement, les délations, les violences de toute espèce allaient leur train. Ambroise Paré raconte qu’à Paris, les magistrats ayant pris la fuite, la ville était parcourue par des bandes de malandrins qui entraient dans les maisons, les mettaient au pillage, coupaient la gorge des malades et des bien portans, pour ne pas être dénoncés. Des personnages peu scrupuleux profitaient