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qu’elles fussent, n’avaient pas produit d’impression. Il en fut de même des petites épidémies qui se succédèrent sur les côtes d’Espagne et d’Italie depuis 1800 jusqu’en 1821, mais celle de Barcelone, qui eut lieu à cette date, fut terrible et épouvanta l’Europe. L’importation était tellement évidente que toute hésitation était impossible et qu’il fallait se prémunir contre la fièvre jaune d’Amérique, ainsi qu’on l’avait fait jusqu’alors contre la peste d’Orient. Ce nouveau péril, survenant après un siècle de sécurité, réveilla les terreurs des anciens jours, et les chambres françaises votèrent, sous la pression de l’opinion publique, la loi du 3 mars 1822. Cette loi draconienne, dont l’ordonnance royale du 7 août suivant vint encore aggraver les rigueurs, rappelait les édits des anciens parlemens du midi de la France. La peine de mort, celle des travaux forcés à perpétuité ou à temps revenaient à la fin de presque tous les articles. Inapplicable par l’excès même de sa sévérité, la loi de 1822 n’en constitue pas moins, à l’heure actuelle, la base de notre législation sanitaire. Hâtons-nous de dire qu’elle est restée à l’état de lettre morte et qu’elle est abrogée de fait.

Le fléau contre lequel on l’avait dirigée ne justifia pas du reste les appréhensions qu’il avait fait naître. Après s’être montrée à Port de Passage en 1823 et à Gibraltar en 1828, la fièvre jaune parut oublier le chemin de l’Europe, et ne le reprit que trente ans plus tard.

Une autre maladie épidémique avait ravagé la terre dans l’intervalle. Venu de l’Asie, comme la peste noire, le choléra avait fait le tour du monde comme elle ; mais il avait mis vingt-cinq ans à parcourir sa carrière et n’avait pas enlevé le trentième de la population du globe, tandis que la mort noire du XIVe siècle en avait détruit le tiers en moins de quatre ans. Le fléau qui venait d’apparaître dérouta, par la bizarrerie de sa marche, les idées que le cours régulier de la peste avait introduites dans la police sanitaire. Il semblait se jouer de toutes les entraves qu’on voulait lui opposer, franchissant les cordons sanitaires, revenant brusquement sur ses pas, s’élançant en trois bonds de Londres à Paris et s’y montrant, au même instant, dans plusieurs quartiers à la fois.

L’impossibilité de lui barrer la route apparut en Allemagne avec toute son évidence. Dans la Prusse orientale, on établit partout des cordons sanitaires et des lazarets ; on mit sous le séquestre les hôpitaux, les quartiers envahis ; et la mortalité y fut plus grande qu’en Russie, où ces précautions n’avaient pas été prises. Dantzig, où on avait mis en jeu toutes les mesures d’isolement, subit des pertes effrayantes, et le triple cordon sanitaire dont on entoura Berlin n’empêcha pas le choléra d’y entrer.

La France ne donna pas dans de pareilles exagérations. Les