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qui passionnaient alors l’Allemagne et y faisaient couler tant de sang. Tandis que la ligue catholique avait résolu de ne souffrir aucun hérétique dans son armée, il recrutait la sienne dans toutes les confessions, quelques-uns de ses meilleurs généraux étaient luthériens ou calvinistes, et il n’a jamais demandé à ses officiers s’ils étaient orthodoxes ou mécréans.

Il avait peu de goût pour les moines, il en avait moins encore pour les jésuites, qu’il chassait de son camp et qu’il aurait voulu voir expulser de l’Empire. Il se raillait des prélats qui vivaient en grands seigneurs, et les félicitait ironiquement « d’avoir trouvé le secret de réconcilier la chair et l’esprit, qui sont toujours en guerre chez les autres hommes. » Il avait un profond mépris pour les laïques qui se mettaient à leur service, et comme il avait l’amour du mot cru et le don des paroles ailées qui font le tour du monde, il affirmait que « de toutes les créatures à deux ou à quatre pattes, ils étaient les plus viles. » Il disait aussi que la liberté de conscience était le glorieux privilège de la nation allemande et qu’on ne lui rendrait la paix et le repos que le jour où l’on aurait décapité quelques évêques intolérans. Aussi eut-il d’incessantes querelles avec les princes qui faisaient partie de la ligue et qu’il accusait de sacrifier les intérêts nationaux aux intérêts religieux. S’il avait vécu de notre temps, il aurait sûrement engagé Agamemnon à se défier de Calchas, et il aurait peu goûté le parti du centre catholique. Il aurait dit, comme quelqu’un le disait dernièrement à Iéna : « Ces gens-là sont les plus dangereux adversaires de l’Empire ; ils démolissent peu à peu tout ce que nous avions construit, et c’est un malheur que le gouvernement écoute leurs conseils et s’efforce de leur plaire. »

Si Wallenstein détestait les partis confessionnels et les disputes de théologiens, c’était moins par humanité que par politique, et si la liberté de conscience lui était chère, c’est qu’il voyait dans la paix religieuse le seul moyen de rendre son pays puissant et redoutable. Il voulait que l’Allemagne pacifiée n’appartînt qu’aux Allemands, qu’elle unît toutes ses forces pour faire tête à tous ses ennemis, qu’elle chassât l’étranger et quiconque se mêlait de ses affaires, qu’elle renvoyât chez eux non-seulement les Suédois, mais encore les Espagnols, qui prétendaient l’asservir à leurs intérêts et l’avoir pour alliée dans leurs démêlés avec la France. Lui aussi rêvait de faire la guerre à la France, et dès 1630, il se vantait qu’avant peu il prendrait ses quartiers d’hiver à Paris. Mais il n’entendait pas que ses victoires profitassent à l’Espagne. Il pensait que l’Empire serait définitivement fondé quand les protestans et les catholiques auraient accompli en commun quelque grande entreprise au dehors, que l’Allemagne serait vraiment une nation « quand tous les marteaux allemands auraient frappé de concert sur l’enclume française. » Si le mot n’est pas de lui, il exprime