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bien son idée. Heureusement pour nous, la France s’appelait alors Richelieu, et l’enclume s’est moquée des marteaux.

Il est à remarquer que ce grand impérialiste n’avait qu’un médiocre attachement à la dynastie pour laquelle il travaillait, qu’il ne ressentait aucune affection personnelle pour l’empereur qu’il a si bien servi. À la vérité, Ferdinand II n’était pas un de ces souverains auxquels on se donne tout entier. Dans le fond, il n’aimait personne, à l’exception peut-être de ses piqueurs, et le seul de ses plaisirs où il mît un peu de son âme était la chasse. Fermement convaincu que les grandes dévotions procurent à un souverain toutes les félicités temporelles et la graisse de la terre comme les rosées du ciel, il entendait chaque matin plus d’une messe. Un jour qu’il avait suivi une procession par une pluie battante qui obligeait tous les bourgeois de Vienne à se renfermer chez eux, il eut la joie d’apprendre, en rentrant dans son palais, qu’à la même heure, par la grâce de Dieu, un de ses ennemis les plus dangereux était parti pour l’autre monde. Il considérait la piété comme un engin de guerre, il assurait qu’il n’y a pas de meilleur bastion pour une forteresse qu’une église de Notre-Dame, que c’est la reine du ciel qui décide du sort des batailles.

Assurément, il s’occupait beaucoup de ses affaires ; il se flattait même d’en tenir tous les fils dans ses mains, d’avoir en toute rencontre sa volonté propre, mais cette volonté variait au gré des circonstances et des influences. Comme ses prédécesseurs, Maximilien II et Rodolphe, il avait tenté de secouer le joug de la branche espagnole de sa maison, et il s’était laissé convertir quelque temps à cette politique nationale que lui prêchait Wallenstein. Mais plus tard les diplomates espagnols et l’or d’Amérique qu’ils faisaient pleuvoir sur sa cour le ramenèrent à d’autres sentimens. Dorénavant, il ne pouvait plus conserver le prince de Friedland pour son généralissime ; il savait que les Wallenstein ne servent jamais une politique qu’ils n’approuvent pas, qu’il n’y a aucune complaisance à attendre de ces hommes de fer. Et puis il lui avait trop d’obligations ; certains services, qu’on ne peut payer, rendent le bienfaiteur odieux et suspect et font de la reconnaissance un fardeau qui pèse trop aux épaules d’un souverain. Cette épée qui l’avait deux fois sauvé commençait à lui faire peur ; qui pouvait lui répondre qu’elle ne se retournerait pas un jour contre lui ?

Cependant il hésita longtemps. Il y avait, disait-il, une pensée qui se levait, se couchait avec lui et l’empêchait de dormir. Il fit réciter des prières dans toutes les églises de Vienne pour que Dieu l’éclairât. Enfin la diplomatie de l’Espagne et son or l’emportèrent et, pour la seconde fois, Wallenstein fut destitué. Qu’allait-il faire ? Qu’il se résignât à sa disgrâce, qu’il s’inclinât humblement sous la main qui le frappait, qu’il rendît ses pouvoirs et son épée, et qu’après avoir baisé l’étrier du jeune roi de Hongrie, désigné pour le remplacer, il se retirât