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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/213

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On avait dit de Tilly, général de la ligue catholique allemande, qu’il ne voulait être que général et que dans toutes les affaires qui n’étaient pas de son métier, il n’avait point de volonté propre, qu’il se conformait avec une parfaite docilité aux instructions qu’on lui donnait. Après les premiers succès de Gustave-Adolphe, Ferdinand II, menacé dans ses états héréditaires, en fut réduit à rappeler Wallenstein, et Wallenstein n’exigea pas seulement qu’on lui accordât un pouvoir illimité sur son armée, il se fit autoriser à décider lui seul de la direction de la guerre, à faire de ses conquêtes l’usage qu’il lui plairait, à confisquer, selon son bon plaisir, les biens des vaincus, et surtout à négocier et à dicter à sa guise les conditions de la paix, sans avoir à se concerter au préalable avec son maître. Il correspondait avec lui, mais il ne lui disait que ce qu’il jugeait bon de lui faire savoir. Lui envoyait-on des ordres déguisés en conseils, il les jetait au panier ; avait-on l’audace d’insister, il offrait incontinent sa démission, et c’est alors qu’on disait, comme l’a dit plus tard l’empereur Guillaume Ier ; «Il est susceptible ; ménageons ses nerfs. » Lorsque, en 1633, Ferdinand voulut confier la conduite d’une armée à son fils, le roi de Hongrie, et en écrivit à Wallenstein, celui-ci répondit que le fils de son empereur était son maître et seigneur, qu’il était prêt à lui céder le commandement, mais qu’il ne consentirait à aucun prix à le partager avec lui. N’est-ce pas là une réponse vraiment bismarckienne ? Est-ce le prince de Bismarck ou le prince de Friedland qui a dit un jour qu’il avait dû tous ses succès à ses propres inspirations et qu’il lui était impossible de se contraindre à obéir aux ordres de qui que ce fût ?

Ces souverains sans couronne, qui gouvernent et ne règnent pas, entendent donner à leur gouvernement le caractère d’une souveraineté. Se souvenant sans cesse des services qu’ils ont rendus, ils en viennent à dire : l’État, c’est moi, — et leur intérêt particulier se confond dans leur esprit avec l’intérêt commun. Quiconque touche à leurs prérogatives commet un crime de lèse-majesté ; quiconque, fût-ce leur roi, se permet de conspirer contre eux, conspire contre le bien public. Ils regardent les hautes fonctions qu’ils se sont fait attribuer, comme une propriété personnelle, aussi sacrée qu’un patrimoine, et, pour que personne ne soit tenté de les en déposséder, ils les marquent à leur chiffre. Quand le prince de Friedland se fit nommer généralissime des armées impériales, chargé à la fois de la conduite de la guerre et de celle des négociations de paix, il sentait bien qu’il venait d’instituer à son profit une charge de vice-empereur, et que les vice-empereurs sont tout-puissans lorsqu’ils s’appellent Wallenstein. Quand M. de Bismarck créa de toutes pièces la constitution de la confédération de l’Allemagne du Nord, qui est devenue celle de l’empire allemand, il s’arrangea pour concentrer tous les pouvoirs dans les mains d’un chancelier, qui répondait de tout et ne laissait à son souverain