Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps. Un programme peu à peu se dessinait. Il restait à le préciser et à le formuler dans un texte. M. Ricard en eut l’initiative. Dans la proposition qu’il présentait à la chambre, le 30 mai, M. Ricard abordait de front les redoutables problèmes sur lesquels le projet de M. Fallières avait rouvert la controverse, et soumettait au parlement un plan de réformes dont l’adoption aurait pour conséquence de modifier sensiblement les rapports du conseil d’État avec les pouvoirs publics, et de réaliser, dans la distribution des compétences entre la juridiction administrative et les tribunaux civils, les changemens les plus considérables qui s’y soient produits depuis un siècle. Un intérêt particulier s’attache à cette proposition, aujourd’hui surtout que son auteur, devenu garde des sceaux, est le chef suprême des deux juridictions dont elle tend à remanier si profondément les attributions respectives.

Quelque opinion que l’on professe touchant les graves innovations qu’elle renferme, on ne saurait du moins lui refuser ce mérite d’avoir nettement dégagé les deux questions essentielles. La première de ces questions se pose dans les termes suivans : faut-il supprimer la section de législation ? — Il est nécessaire de la maintenir, répond M. Ricard : elle doit être « l’âme d’un conseil d’État. » C’est elle qui, dans ce conseil, à côté des autres sections, « composées de compétences spécialisées et portées par là même à restreindre leurs points de vue, à faire trop souvent place aux minuties administratives, doit défendre les grandes vues de droit public ou privé qui dominent notre législation… » Mais que sert de la maintenir si l’on n’assure pas en même temps sa participation régulière à la confection des lois ? Nous touchons au point très délicat et, pour tout dire, au nœud de la question. À cet égard, rien n’est plus significatif que l’allure des conversations qui roulent sur ce sujet ; chacun de nous, dans ces derniers mois, en a pu faire l’expérience. Tant qu’il s’agit seulement de proclamer les avantages de la collaboration législative du conseil, vous rencontrez un accord général ; tous les hommes éclairés, à commencer par les membres du parlement, déplorent la manière dont se fabriquent les lois : il y faudrait, disent-ils, le conseil d’État… Que si pourtant, préoccupé des solutions pratiques, vous mettez l’entretien sur les mesures à prendre pour faire de ces desiderata platoniques une réalité, vous avez beau presser votre interlocuteur, il hésite, se tait, se dérobe, comme arrêté soudain par un obstacle infranchissable. M. Ricard, lui, ne se dérobe pas. Il a compris que, si l’on veut franchement associer le conseil d’État à l’œuvre législative, il est indispensable de régler cette participation par un texte impératif ; il faut une prescription légale. Je dis une prescription et non