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section et l’assemblée du contentieux, que la réforme, pour être pleinement efficace, doit s’attaquer ; il faut tailler dans les maîtresses branches. Nous touchons ici à l’innovation capitale du programme présenté par M. Ricard ; je veux parler de cette entreprise très simple en apparence, mais en réalité infiniment délicate, qui consisterait à distraire de la juridiction administrative des milliers de litiges, pour les remettre en bloc à l’autorité judiciaire.

Ces litiges si divers forment une vingtaine de catégories que la proposition passe en revue, et ces catégories, pour la plupart, se peuvent ramener à quatre groupes.

Ce sont d’abord les contestations relatives aux ventes domaniales et aux partages ou à la jouissance des biens communaux : questions de propriété, qui rentreraient naturellement dans le domaine du juge civil. — Viennent ensuite les difficultés souvent si épineuses auxquelles donne lieu l’interprétation ou l’exécution des contrats passés entre les concessionnaires et entrepreneurs de travaux et les départemens, les communes, les établissemens publics. (Pour les litiges du même ordre où l’État est en cause, M. Ricard maintient la compétence du juge administratif.) — Un troisième groupe est celui des demandes d’indemnité introduites à raison des dommages que les travaux publics font subir aux propriétaires riverains. — Enfin, et c’est le quatrième groupe, on renverrait au juge civil toutes les contraventions que les conseils de préfecture sont chargés de réprimer, notamment en matière de grande voirie. — M. Ricard estime que les mesures qui viennent d’être indiquées réduiraient de plus d’un tiers le nombre annuel des pourvois déférés au conseil.

Telle est, dans ses lignes générales, l’économie de cette proposition tout à la fois tempérante et hardie, qui présente, à côté de demi-réformes presque timides, des innovations radicales et d’une redoutable portée, car elles atteignent par-delà le conseil d’État les conseils de préfecture, et elles les atteignent dans la partie contentieuse de leurs attributions, c’est-à-dire dans ce qui est leur principale raison d’exister. Vous jetez par-dessus bord des piles de dossiers encombrans, et voilà le conseil d’État remis à flot ; à merveille ! mais ces affaires, du même coup, vous les enlevez aux conseils de préfecture qui, depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, en sont les juges au premier degré, et vous dégarnissez les audiences de ces tribunaux, tant et si bien que l’on se demande, non sans inquiétude, ce qui leur restera. — Je reproduis là l’un des argumens que l’on oppose à toute réforme sérieuse des compétences, et je reconnais volontiers que l’objection est grave. Est-elle décisive ? Je ne le crois pas. Mais on voit déjà combien, par ce côté seulement, la question, si simple à première vue, se complique.