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londonienne, dans la personne de M. Keir Hardie, se présente à la même porte, en chemise de flanelle, escortée d’un cornet à pistons des salles de bal de l’East-End ?

Le revenant, c’est sir Charles Dilke. Fils d’un homme que l’amitié du prince Albert avait mise en évidence ; d’abord républicain dans les années qui suivirent 1870 et lié avec nos radicaux, plus tard sous-secrétaire d’État aux affaires étrangères dans le ministère de 1880, et très remarqué pour ses rares talens en cette qualité, sir Charles Dilke arrivait presque au premier rang, lorsqu’un procès analogue à celui de Parnell a fait de lui un paria. Que faut-il penser de ce procès ? Sir Charles est-il un saint méconnu ou un noir coquin ? Ni l’un ni l’autre. On a prouvé qu’il aimait les femmes et qu’il prenait son plaisir où il le trouvait : que ceux de nos hommes d’État qui sont sans péché lui jettent la première pierre ! Quant aux vilenies compliquées dont on le chargeait, par surcroît, j’avoue que je n’y crois pas. Il y avait là une intrigue essentiellement féminine, où un magistrat de chez nous se serait peut-être débrouillé, mais qui dépassait, et de beaucoup, la psychologie d’un juge anglais. Jamais un juge anglais ne comprendra qu’entre une petite femme de vingt ans et un homme d’État de quarante-cinq, le roué et la dupe ne sont pas ceux qu’on pense.

Pendant plus de six ans, sir Charles Dilke est resté oisif, rongeant son frein. Rien de plus cruel, lorsqu’on se sent des facultés de gouvernement, que de voir passer les années de l’action sans agir. Les talens qu’un homme porte en soi lui rongent le ventre, comme faisait le renard que ce petit Lacédémonien tenait caché sous sa robe. Ses anciens électeurs de Chelsea l’ayant abandonné, sir Charles reparaît au parlement comme le député des mineurs de la forêt de Dean. Il sort de sa « forêt, » avec des dents longues et des griffes aiguës, prêt à donner son concours aux mesures les plus avancées, parce que les chemins du pouvoir lui sont fermés. Aucun symptôme n’indique que sa quarantaine politique touche à sa fin. Encore un point sur lequel M. Gladstone ne pactise pas.


V.

Les entr’actes gâtent la comédie politique comme ils sont la plaie des représentations théâtrales. C’est pourquoi les directeurs intelligens ont inventé « la scène dans la salle. » Nous avons eu ici quelque chose d’analogue, entre la fin des élections et la réunion