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Quelle sera la politique étrangère du cabinet Gladstone ? Tout d’abord, un gouvernement qui a devant lui une pareille œuvre constitutionnelle et législative à accomplir, avec une majorité petite et précaire, en présence d’une opposition plus formidable encore par les talens que par le nombre, un tel gouvernement peut-il avoir une politique étrangère ? Cette politique ne sera-t-elle pas, nécessairement, une politique de prudence, de conservation et de défense ? Certes. Mais les dieux sont ironiques ; quelquefois ils envoient aux ministres pacifiques des nœuds gordiens qu’il faut trancher avec l’épée.

Lord Rosebery a repris les fonctions qu’il occupait en 1886 à la tête du foreign office. Sa mission, à cette époque, était de chercher un rapprochement avec la triple alliance. De temps en temps l’Angleterre s’effraie de l’isolement en quelque sorte providentiel auquel elle doit sa sûreté, sa force et ses brillantes destinées. Alors elle fait un pas vers quelqu’une des puissances, se met à tatillonner dans les affaires continentales jusqu’à ce que quelque bévue de ministre ou quelque mécompte accidentel provoque un revirement d’opinion et rejette l’Angleterre dans sa neutralité traditionnelle.

En 1886, elle traversait un petit accès de sociabilité. Aussi bien toutes les politiques peuvent se justifier et produire de bons effets si elles sont habilement menées. L’Angleterre a un sentiment commun avec l’Autriche : c’est l’inquiétude jalouse de la Russie. Elle a un intérêt qui la pousse à protéger la puissance maritime naissante de l’Italie : c’est le désir de faire échec à notre prépondérance navale dans la Méditerranée que nous avons eu la niaiserie d’appeler tout haut un « lac français. » Quant à l’Allemagne, elle est très grande, et il est toujours agréable d’être l’ami d’un grand.

Lord Rosebery montra de la décision et de la finesse dans le rôle qu’on lui avait assigné. Il obtint, en peu de mois, quelques résultats, sans compter celui de devenir l’ami personnel du comte Herbert de Bismarck, une amitié qui ne doit pas lui servir à grand’ chose aujourd’hui.

Le jeune lord, cela va sans dire , se souciait peu du home-rule irlandais. Il fut à deux doigts de devenir unioniste. Pourtant il ne se déclara pas, et bien lui en prit peut-être, car tout le monde ne peut jouer cet air-là avec la maestria et le doigté de M. Chamberlain. D’ailleurs, à la chambre des lords, le silence et l’abstention sont plus faciles qu’aux communes. Après s’être laissé un peu oublier, lord Rosebery trouva juste à point un terrain neutre où devaient le servir ses rares facultés de travail, son tour d’esprit très moderne, et qu’aucune nouveauté n’effarouche. Comme président du