Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succès eût rétabli le pouvoir, employé pendant quatorze ans à la corruption de tous les sentimens généreux, à la destruction de toutes les idées libérales. »

Les dispositions de La Fayette furent bientôt connues. On lui demanda s’il répugnerait à une conférence chez le président de la chambre, M. Lainé. Il s’y rendit sur-le-champ et conseilla un appel immédiat des membres de toutes les assemblées nationales depuis 1789, qui se trouveraient à Paris, afin d’opposer une grande force morale à cet entraînement irréfléchi pour l’empereur. Il ajouta qu’il serait prudent d’éloigner les neveux du roi, le duc d’Angoulême et le duc de Berri, et de n’employer que son cousin, le duc d’Orléans, le seul prince populaire. Son avis n’excita que de l’effroi et du soupçon. « M. de Chateaubriand proposa de nous ranger tous autour du roi, pour y être égorgés, afin que notre sang devînt une semence d’où renaîtrait un jour la monarchie. » — Benjamin Constant se mit à rire du dédommagement qu’on lui offrait.

La réunion s’arrêta à la résolution de faire remplacer par la chambre elle-même les sièges vacans. La Fayette promit d’accepter cette élection irrégulière et calma, à cet égard, les scrupules de son ami d’Argenson. Mais le gouvernement eut soin de faire écarter, dans les bureaux, cette proposition.

Au milieu de l’effarement général, on apprit que, dans la nuit du 20 juin, le palais des Tuileries avait été évacué ; la précipitation avait été telle que Louis XVIII avait oublié son portefeuille et son grand aumônier. Le lit du roi était encore chaud lorsque l’empereur y entra.


V.

La Fayette ne crut pas à sa conversion, malgré son nouveau langage. Il raconte que, le conseil d’État ayant pris au sérieux la situation nouvelle où Napoléon sentait la nécessité de se placer : «Vous l’avez voulu, répondit-il avec colère ; on ne reconnaît plus le vieux bras de l’empereur ; mais vous le sentirez, ajoutait-il entre ses dents. » La Fayette avait plus que de l’humeur de ce que le retour de l’île d’Elbe venait troubler la paix du monde et les probabilités de l’éveil de l’opposition parlementaire.

Après être resté trois jours à Paris, le vieux libéral s’enferma dans sa solitude de Lagrange.

La grande réunion du Champ de Mai, annoncée avec emphase, lui paraissait une jonglerie destinée à éviter la convocation d’une assemblée délibérante. Ses méfiances répondaient à celles de cette bonne bourgeoisie de Paris, paisible, modérée, désintéressée, ne