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recherchant pas les emplois, ne demandant que la renaissance des affaires, et avec la paix une liberté sage, et un régime qui ne blessât pas ses sentimens, ses opinions, sa dignité. Dans une lettre à Benjamin Constant, devenu conseiller d’État, malgré son célèbre article du Journal des Débats, La Fayette (19 avril 1815) dévoile sans réserves l’état de son esprit :

« Il n’a tenu qu’à moi, pendant plusieurs années, d’être accueilli par l’empereur. Mes obligations envers lui n’ont jamais été plus reconnues par moi que depuis sa chute. Je n’en suis pas moins convaincu, bien à regret, que son gouvernement, avec ses talens et ses passions, est celui de tous qui offre le moins de chances à l’établissement d’une véritable liberté. Je souhaite de toute mon âme me tromper, et alors j’en conviendrai avec autant de bonne foi que de plaisir. En attendant, je crains que l’homme auquel il a suffi autrefois pour attraper tant de gens d’esprit de signer : Membre de l’Institut, général en chef, qui aujourd’hui vient de soulager tant d’amours-propres et tant d’intérêts, et qui succède à tant de sottises, ne finisse par tromper, comme il y a quinze ans, l’honnête espérance des patriotes. Il ne peut exister de liberté dans un pays, à moins qu’il n’y ait une représentation librement et largement élue, disposant de la levée et de l’emploi des fonds publics, faisant toutes les lois, « organisant la force militaire et pouvant la dissoudre, délibérant à portes ouvertes dans des débats publiés dans les journaux ; à moins qu’il n’y ait liberté complète de la presse, soutenue par tout ce qui garantit la liberté individuelle ; à moins que tous les délits ne soient soustraits aux tribunaux d’exception, et soumis au jugement de jurys convenablement formés… Je désire être assuré que l’empereur puisse se résigner à de pareilles institutions : jusqu’à présent, je ne vois pas qu’il le veuille… Je vous offre mon incrédulité, et j’y joins mille amitiés. »

Il était dans cette disposition d’esprit, et dans une visite à Lagrange, M. Crawfurd, ministre des États-Unis, n’avait fait que l’aggraver, en lui parlant de la guerre inévitable et des forces de la coalition, lorsque, le 19 avril, le général Mathieu Dumas, très anciennement lié avec La Fayette, lui envoya par exprès la lettre suivante :

« Le prince Joseph, qui vous a toujours conservé les mêmes sentimens d’estime que votre caractère et votre attachement à la liberté lui ont dès longtemps inspirés, désire vous voir. Il m’a chargé de vous le faire savoir et de vous engager à venir passer quelques heures à Paris le plus tôt possible… Si vous avez quelque confiance en mon jugement, si vous croyez à la constance de mon opinion et de mes vœux pour l’indépendance de notre chère patrie, venez,.. je vous attends demain. »