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Vals est le Vichy méridional. Tout ce qu’il y a de dyspeptiques et de gastralgiques entre le Rhône, la Méditerranée et la Garonne, vient se faire réparer ici. Cette population de baigneurs ne rappelle en rien celle de nos grandes stations à la mode ; l’eau qu’elle boit n’est pas empoisonnée par un élégant et incurable ennui. C’est le Midi pur, expansif, bruyant, patriarcal, content de peu. À peine si quelques froides voix du nord détonnent sur l’accent alliacé qui est de règle. La langue de Mistral résonne fréquemment sous les quinconces, et Tartarin déploie ses grâces devant les belles Arlésiennes en costume national. Vals n’a fait que de faibles efforts pour attirer la clientèle de luxe et rivaliser avec ses grandes sœurs, malgré la beauté des environs que toutes pourraient lui envier. Le civilisé des régions polaires est d’abord un peu dépaysé par le confort très relatif des installations. Le Midi n’en a cure ; ces braves gens se consolent par quelque bonne partie dans les cabarets de la montagne. Entre une truite du torrent et une grosse perdrix rouge des Cévennes, on y peut vérifier la justesse de l’axiome émis jadis par Victor Hugo : nul ne fait meilleure chère que les rouliers. L’écrivain manquerait de gratitude et d’équité, s’il négligeait de transmettre à la postérité le nom de cet homme unique, M. Bernard Pouchet, qui ensevelit dans l’auberge de Montpezat un génie digne des plus illustres fourneaux.

Néanmoins, dans ce pays pauvre et resté fidèle aux simples habitudes du vieux temps, Vais est le seul centre où le touriste puisse s’établir commodément, pour rayonner de là sur les vallées avoisinantes. Elles serpentent en tous sens dans les replis des montagnes ; nous verrons tout à l’heure, du haut du mont Mézenc, comment les masses de granit et de lave ont été soulevées par les éruptions plutoniennes dans un désordre inextricable. Ces vallées offrent, au premier coup d’œil, une physionomie uniforme ; et chacune d’elles a ses grâces, ses curiosités particulières, une infinie variété de surprises. C’est l’arrangement des sommets, amphithéâtre toujours diversifié avec les mêmes élémens ; c’est l’alternance des draperies roses et vertes sur les pentes rocheuses, où la bruyère fleurit sous l’éternelle forêt de châtaigniers. Groupés en masses puissantes ou profilés élégamment sur les crêtes, ces arbres atteignent ici la vigueur et la majesté de nos chênes du nord ; il n’est pas rare d’en rencontrer qui mesurent cinq à six mètres de tour. Plus bas, dans les fonds tièdes, les vergers de mûriers et de vignes réchauffent le regard. Au creux de la gorge, un torrent rassemble les eaux qui tombent des ravines supérieures, parfois de cascades comme le Ray-Pic à Burzet, comme la Gueule d’Enfer à Thueyts. La rapidité de chute et la multiplicité de ces ruisseaux sont une menace perpétuelle pour le bas pays ; l’Ardèche, leur