Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernier siècle ; ils n’ont pas la sécheresse et le pédantisme des nôtres ; éclairés déjà par les lumières rationnelles de M. de Buffon, ils interrogent la nature avec une application soutenue, mais sans trop présumer de ce qu’on peut lui arracher. Les termes sont faciles, à la portée de tous. On n’y sent pas la morgue de l’enseignement ex cathedra ; ils donnent l’idée d’honnêtes gens, curieux de la philosophie des choses, qui voyagent pour s’y avancer et s’entretiennent le soir de leurs observations. Beaucoup d’obscurités sont éclaircies dans l’appendice par les lettres du chevalier et de l’abbé, qui eurent occasion de voir des pierres rares dans les cabinets formés par nos ambassadeurs à l’étranger. C’est une science pleine d’urbanité, discrète dans l’hypothèse, pas beaucoup plus conjecturale que la nôtre, diront nos neveux ; et un vieux parfum d’alchimie y flotte encore sur de jolis mots.

Comme l’histoire de la terre sur ces roches, l’histoire des hommes est écrite dans les ruines des châteaux qui gardaient chaque passage de ces vallées. Les rives du Rhin ne sont pas plus riches en burgs féodaux. Partout où se dresse un piton d’accès difficile, bien placé pour commander la rivière, couper la route aux gens de guerre, percevoir le péage sur les bateliers et les marchands, on aperçoit les pans de murs d’une ancienne seigneurie. Cratères éteints, eux aussi, jadis foyers d’une rude flamme de vie, centres actifs des convulsions qui ont secoué ce pays. La plupart portent les noms de familles considérables dans les annales du Vivarais, et l’inspection des lieux montre que la grandeur ultérieure de ces familles fut presque toujours due à l’heureux emplacement de leur aire originelle. Chacun de ces manoirs a son cycle de légendes ; elles ont été recueillies dans les nombreuses publications de M. Henry Vaschalde, le travailleur érudit à qui je dois tant d’utiles renseignemens. Chacun a son histoire ; pour la voir se ranimer, il faut visiter ce pays avec les Commentaires du soldat du Vivarais, le livre qui garde l’âme de ces ruines, qui les rajeunit de trois siècles et nous les montre intactes, vaillantes, battues par le fauconneau, sonnant sous le fer des piques.

Les plus beaux restes sont incontestablement ceux de Ventadour, berceau de la maison de ce nom. Le squelette du château est encore debout, résistant à l’assaut des lierres, des buis, des yeuses qui se cramponnent aux pierres disjointes. Un houx méchant luit au fond de l’oubliette. L’échauguette, accrochée au sommet du donjon comme un nid de cigogne, continue de surveiller les vallées et le confluent des trois rivières qui forment l’Ardèche au pont de Labeaume. Tout à l’entour, les Chaussées des géans