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semblent les remparts avancés de la forteresse. Détachées sur un cap de rocher qui domine le plus merveilleux site de la contrée, encadrées par les arrière-plans des hautes montagnes, les ruines de Ventadour peuvent défier les plus féeriques décors d’opéra. Il faut vraiment que notre Vivarais soit bien ignoré pour que la peinture et la photographie n’aient pas popularisé ce rare bijou. — C’est au contraire dans une gorge sauvage qu’on découvre par hasard Boulogne, la place d’où les Lestrange interceptaient les communications des huguenots entre Vals et Privas. Le refuge est sûr et de facile défense, à pic de tout côté. Un élégant portail Renaissance adoucit sa mine morose. La fondation de la chapelle adossée au mur oriental est racontée de deux façons, toutes deux cruelles pour les châtelaines d’antan. Selon les uns, le sire de Lestrange l’aurait fait bâtir en expiation de sa vivacité ; il avait précipité dans un souterrain la dame de Langeac, son épouse, trop remarquée par le dauphin, fils de François Ier, durant le séjour que ce prince fit à Tournon, en 1536. Selon d’autres, un baron de Latour-Maubourg, du temps que Boulogne appartenait à cette maison, mit à mort un vilain qui avait su plaire à sa fille Marie. La jeune fille, désespérée, se jeta sur le cadavre du haut du donjon. Le père éleva sur le lieu même cette chapelle et y suspendit une lampe qui devait rester toujours allumée. Une nuit, la flamme s’étant éteinte, Marie de Latour-Maubourg revint remplir la lampe avec le sang de son amant, recueilli sur le sol où on l’avait versé. Depuis lors, la lampe répandit une lueur rougeâtre ; elle ne s’évanouit qu’avec la vie du malheureux père. — Du château d’Antraigues, qui commandait les défilés de Volane, il ne subsiste qu’une tour, aujourd’hui clocher du petit bourg si coquettement perché sur cette aiguille volcanique. Elle évoque le souvenir de son dernier seigneur, ce singulier comte d’Antraigues qui marqua dans la Révolution. Député aux états-généraux, sa ferveur libérale et l’éloquence de ses pamphlets le désignèrent un moment comme le rival possible de Mirabeau. Revenu à l’autre extrême, émigré et royaliste fougueux, il fut l’âme de toutes les intrigues contre Napoléon, le plus habile rédacteur des gazettes de la coalition. Nul adversaire ne donna plus de souci à l’empereur. Traqué par les agens français sur tout le continent, il périt dans des circonstances mystérieuses, assassiné à Londres avec la Saint-Huberty qu’il avait épousée.

Quand nous descendrons de la montagne dans la plaine méridionale, nous retrouverons ces témoins des guerres féodales et religieuses plus nombreux encore sur le cours de l’Ardèche, incrustés dans tous les escarpemens qui la tiennent en respect, là où elle devient navigable. C’est Vogüé, blotti dans le premier étranglement