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blancs ; le 30 mai, le traité de paix signé, les armées alliées se mirent en marche pour repasser les frontières ; le 4 juin, il fut donné lecture aux deux chambres, en séance royale, de la charte constitutionnelle. La période des révolutions et des guerres était close, la monarchie héréditaire et l’autorité de droit divin étaient rétablies. Le roi légitime, Louis le Désiré, était aux Tuileries, sur le trône de ses ancêtres, dans la « dix-neuvième année » de son règne.

Il ne s’agissait plus que de gouverner.

Pour y réussir, il eût fallu un autre Henri IV, habile, rusé, un peu gascon, indifférent aux principes comme aux préjugés, parlant dans le conseil avec la fermeté et le prestige d’un capitaine qui s’est taillé son royaume à coups d’épée, actif d’esprit, agile de corps, chaud de cœur, bon enfant et diable-à-quatre. Encore le Béarnais, une fois maître de Paris, avait-il eu moins d’intérêts à concilier, d’alarmes à calmer, de résistances et de partis-pris à vaincre. « Le plus fort est fait, » disait Louis XVIII en recevant Beugnot à Saint-Ouen. Illusions ! Autant la restauration des Bourbons, si inattendue dans la dernière année de l’empire que l’on a pu, avec apparence, l’appeler miraculeuse, s’était accomplie facilement, autant la tâche du nouveau gouvernement allait être compliquée, difficile et pénible. La royauté avait été accueillie avec enthousiasme par un dixième de la population. Trois dixièmes s’y étaient ralliés par raison. Le reste, c’est-à-dire la moitié des Français, demeurait hésitant, défiant, plutôt hostile. Dans les mois d’avril et de mai, malgré les adhésions empressées des grands corps de l’État, des officiers-généraux, de la foule des fonctionnaires, malgré les adresses des municipalités et les dithyrambes des journaux, malgré les Te Deum, les pavoisemens et les illuminations, il s’en fallait bien que l’opinion fût unanime[1].

  1. « À l’entrée du roi à Paris, les sentimens les plus opposés se lisaient sur les visages. Ils éclataient dans le cri de « Vive le roi ! » poussé par les royalistes et ne se révélaient pas moins dans le morne silence des ennemis de la royauté. » (Mémoires de Metternich, I, 197.) — « L’enthousiasme public n’était pas assez général (le 12 avril) pour nous rassurer sur les dispositions des Français, et M. L… me dit qu’il ne croyait pas que les Bourbons pussent rester six mois en France après le départ des alliés. » (Journal d’un officier anglais. Revue Britannique, VIII, 82.) — « Il ne faut pas croire que l’opinion pour les Bourbons ait été générale. » Mme de Wimpfen (royaliste) au baron de Stengel, 28 octobre 1814. (Archives des affaires étrangères, 075.) — « Depuis que le roi a mis le pied en France, jamais son gouvernement n’a été affermi. » Rapport général sur l’esprit public, 2 mars 1815. (Archives nationales, F 7, 3739.) Cf. Rapport général de police, 14 avril ; rapports des préfets, du 21 avril au 22 juin ; minutes de rapports de police générale, avril-mai 1814. (Archives nationales, F10,582, F 7, 3204.)
    Le mot de Carnot, répété de confiance ou rappelé dans un intérêt politique par tant d’historiens et de publicistes : « Le retour des Bourbons produisit un enthousiasme universel » (Mémoires au roi, 20), a imposé à l’histoire. Or d’une part, Carnot qui resta jusqu’aux premiers jours de mai 1814 à Anvers, où la garnison tenta de se révolter aux cris de : Vive l’empereur ! ne pouvait témoigner de l’enthousiasme universel des Français ; d’autre part, si Carnot s’exprimait ainsi, c’était par un artifice de discussion. Afin de mieux démontrer l’action néfaste sur l’opinion publique des fautes et des maladresses du gouvernement royal, il commençait par dire qu’à l’origine tout le monde était pour le roi. Dans une brochure publiée peu après le Mémoire de Carnot (Réflexions sur quelques écrits du jour, 42-49), Chateaubriand a réfuté cette assertion que démentent d’ailleurs tous les témoignages. « Nous avons été témoin, dit Chateaubriand, des premiers momens de la restauration, et nous avons précisément observé le contraire de ce que l’on avance ici… La vérité est que la confiance ne fut pas entière au retour du roi. Beaucoup de gens étaient alarmés, les provinces mêmes agitées, incertaines, divisées. On craignait les fers, on redoutait les vengeances. »