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L’armée en pleine dissolution, — il y eut en deux mois cent quatre vingt mille déserteurs, — menaçait d’entrer en pleine révolte. Dans vingt villes fortes, la garnison se souleva au cri de : Vive l’empereur ! Partout, les soldats méconnaissaient l’autorité des chefs, brûlaient ou traînaient au ruisseau les drapeaux blancs, refusaient de prendre la cocarde royale et disaient qu’ils ne serviraient jamais que leur empereur.

Chez les ouvriers des grandes villes et plus encore chez les paysans l’opposition était très marquée. Le quai de Gesvres où se réunissaient les ouvriers sans travail retentissait de cris et de menaces contre les Bourbons. Le 11 mai, une colonne de populaire se porta presque sous les fenêtres des Tuileries, vociférant : De l’argent ou la mort ! Vive l’empereur ! « Pour le moment, écrit le 23 avril le duc de X… au comte d’Artois, la masse de la nation donne des regrets au gouvernement d’une régence, et l’armée est toute à Napoléon ! » — « Les campagnes et une grande partie des villes sont en opposition avec les amis du roi, » écrit à Dupont le général Boudin. — « Au moins la moitié du peuple, surtout dans les campagnes, écrit le 25 mai à Beugnot un président d’assemblée cantonale, est contraire au rétablissement des Bourbons et ne veut pas se détacher de Bonaparte. Il ne veut pas encore croire à la réalité et encore moins à la stabilité de cette résolution. » À Toulon, le 4 mai, on colle des aigles sur les fleurs de lis des affiches administratives ; à Dôle, le 9 juin, on appose ce placard : « Vive le roi pour trois jours ! Vive Bonaparte pour toujours ! » En Alsace, en Champagne, en Lorraine, en Franche-Comté, en Dauphiné, dans Saône-et-Loire, dans la Côte-d’Or, les Charentes, la Corrèze, le Lot, le Loiret, l’Allier, la Nièvre, on lacère les proclamations officielles, on enlève des clochers les nouveaux drapeaux, on insulte et on maltraite les gens qui portent la cocarde blanche.