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et la fraîcheur primesautière. Elles ne perdaient rien, croyons-nous, à l’extrême rapidité des impressions, concentrées dans l’espace bref de six mois.

Des deux manières de voyager, qui consistent soit dans un long séjour, favorisant l’étude attentive et consciencieuse des mœurs, soit dans le coup d’œil rapide jeté sur toutes choses par un touriste perspicace, c’est souvent la seconde que nous préférons. Il n’y a peut-être pas beaucoup plus d’inexactitudes, car comment ne se tromperait-on point en parlant d’un pays étranger, même après l’avoir habité ? Mais en tout cas les erreurs sont rachetées par un charme de spontanéité, par des traits de divination heureuse qui valent mieux que la simple observation toujours insuffisante. D’ailleurs, comme l’a dit à merveille M. Hamerton, le seul Anglais contemporain qui ait bien pénétré notre vie de province en France[1] : « Après des années passées dans tel ou tel endroit, nous hésitons toujours à le décrire, parce que nous le connaissons trop, et que néanmoins nous sentons qu’il faudrait le connaître beaucoup plus encore avant de publier des résultats et de tirer des conclusions. » M. Aïdé, pour sa part, était dans la disposition où l’on est avant d’avoir trop réfléchi, c’est-à-dire tenté de raconter au plus vite. Il commença toutefois par déclarer avec une parfaite modestie qu’il ne se permettrait pas de parler des institutions politiques, de revenir sur tout ce qu’avait traité admirablement M. Bryce, l’auteur d’American commonwealth, qu’il laisserait de côté les questions religieuses et industrielles comme n’étant pas de sa compétence, qu’il se bornerait à des croquis de ce qu’il avait vu. Or ceux qui connaissent les crayons et les aquarelles de M. Aïdé savent que ses moindres croquis ont une valeur toute particulière. Nous demandons à mettre, en partie au moins, ces esquisses légères sous les yeux de nos lecteurs avant de leur montrer le tableau achevé qui ne parut que plus tard sous le titre : un Voyage de découvertes. Comme beaucoup de tableaux achevés, il n’a peut-être pas toute la saveur de la simple esquisse.

La première remarque du voyageur anglais, c’est qu’il est absurde de parler de la nation américaine, composée par excellence de pièces et de morceaux, comme d’un peuple unique et homogène. L’agglomération de nationalités diverses y produit souvent les caractéristiques les plus opposées ; la science ne trouvera nulle part d’occasion plus belle pour étudier l’effet du croisement des races. Dans l’est et dans l’ouest par exemple, les conditions de la vie ont si peu de rapports entre elles que les observations qui

  1. Round my house, notes de la vie rurale en France.