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concernent une ville ne s’appliquent pas nécessairement à une autre. Même dans l’est, les cités rivales ne toléreraient qu’avec peine que l’on confondît leurs idiosyncrasies respectives. À New-York, la population irlandaise est tellement prépondérante que le pouvoir politique et l’influence civique lui appartiennent sans partage. Si l’on demande par exemple d’où vient l’état lamentable des rues mal entretenues avec des trous dangereux, la réponse est invariable : — Nous sommes entre les mains des Irlandais. Nul, parmi les millionnaires qui demeurent ici, n’aurait le pouvoir d’y rien changer.

À Cincinnati et ailleurs, c’est l’élément germanique qui domine, on s’en aperçoit aux journaux, aux institutions de toute sorte et à la haute culture musicale, dont le résultat chez la génération qui s’élève sera considérable. À San-Antonio, il y a, paraît-il, dix-sept nationalités distinctes. Tout le monde sait qu’à la Nouvelle-Orléans une très nombreuse colonie d’Italiens s’ajoute aux créoles français. Et quand on en a fini avec le nègre au sud, quoique dans toute l’étendue des États-Unis il ne disparaisse presque jamais complètement, on se trouve devant les Chinois qui occupent des quartiers dans chaque ville, parfois même, en Californie, tout un village.

Une pareille multitude hétérogène, répandue parmi la population d’origine, doit, cela va sans dire, modifier beaucoup le tempérament de chacun des États ; cependant certaines qualités s’y manifestent d’une façon générale. Par exemple, l’esprit d’entreprise, la persévérance, le genre de fierté qui fait qu’on ne dépend que de soi, tout cela paraît avoir planté des racines indigènes dans le sol américain, de même que la munificence envers sa cité natale passe pour le premier des devoirs aux yeux du citoyen riche. Inventeurs, pionniers, industriels, hommes de science, tous pratiquent cette même vertu primordiale. Le véritable Américain ne saurait comprendre la jouissance du repos ; selon lui, l’inaction est irritante. Que ce soit pour fonder une ville ou pour se créer une fortune, que son but soit patriotique ou personnel, une énergie presque fiévreuse dirigera ses mouvemens. Chicago en porte témoignage, cette ville, brûlée il y a peu d’années et qui est maintenant la plus grande, comme étendue, de tous les États-Unis. Jamais un Américain ne se laisse décourager ; il n’est pas question de ces faillites après lesquelles un Européen s’éclipse pour toujours ; les exemples de richesses énormes gagnées dans d’audacieuses spéculations, puis perdues et regagnées, sont des exemples quotidiens. Le revers de la médaille, c’est que le succès d’argent est trop généralement présenté à la jeunesse comme le but