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suffisamment malmenés par M. Rudyard Kipling pour que les autres voyageurs les laissent tranquilles, M. Aidé terminait son premier article, qui nous fit très vivement désirer une suite écrite du même ton libre et familier, — le ton d’un journal intime rempli de documens puisés aux sources sur tous les sujets pêle-mêle, graves et frivoles, à mesure qu’ils se présentent.

Mais, si nous ne nous trompons, un scrupule fort légitime arrêta presque aussitôt l’auteur. Il craignit de blesser par des renseignemens trop précis les susceptibilités d’un monde qui lui avait fait bon accueil, il redouta un péril auquel, seul peut-être, M. Taine, dans ses admirables notes sur l’Angleterre, a su échapper par son indifférence même de plaire ou de déplaire soit aux Français, soit aux Anglais, indifférence dont il fait la déclaration nette et sincère en tête de son livre. Pour des raisons qui résultent de ces jalousies et de ces susceptibilités si souvent observées en famille, la situation est bien autrement délicate entre Anglais et Américains. M. Aidé imagina donc de se mettre plus à l’aise et de contenter tout le monde en écrivant un roman, l’agréable récit intitulé, A Voyage of discovery ; mais, en réalité, ce roman n’est que le développement et la continuation de l’article que nous avons voulu à cause de cela faire connaître en commençant. Sur cette charpente une fois posée, il groupa des caractères, des événemens, et s’exerça très habilement à un véritable tour de force, nous voulons parler des nuances du dialogue, de ces conversations entre Anglais et Américains, où les plus imperceptibles différences de ton et de langage sont marquées avec une étonnante virtuosité ; ceci, bien entendu, ne peut être reconnu facilement par l’oreille mal exercée d’un Français, mais on distinguerait du moins à travers la traduction cette même adresse merveilleuse appliquée à l’indication soutenue du caractère et de l’esprit de chacune des deux nationalités mises en présence. Point d’exagération, point de grossissement ; l’étude est bien intéressante pour nous autres, en nous indiquant toute sorte d’affinités entre la verve française et l’entrain américain, opposés à la lenteur, à la solidité britanniques, à cette condescendance dans l’approbation qui faisait dire à un Anglais patriote prié en voyage d’admirer un splendide coucher de soleil : — Un coucher de soleil ? .. Ah ! si vous pouviez voir seulement un des couchers de soleil de sa majesté la reine !

Celui qui cite ce mot caractéristique, ne pèche pas pour sa part par l’étroitesse. Il rend justice à chacun avec une impartialité très rare.

Il va sans dire que le fil imaginaire qui relie entre elles les