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moule banal. Mrs Flynn et miss May Clayton ont pourtant des liens de famille avec le meilleur monde, mais les leaders de la société les ignorent pour des raisons d’argent. Ceci atténue un peu la gaîté de Mre Flynn, mais n’a pas d’effet sur sa cousine miss Clayton, une demoiselle du Kentucky à ses débuts, un bouton des plus lancés. En vertu de son éducation, elle n’est ni timide ni méfiante d’elle-même ; pour le franc parler, elle en remontrerait aux femmes de quarante ans. Elle ne se rappelle pas le temps où elle a commencé l’exercice du flirt, ayant été toujours ramenée de l’école par des amoureux, comblée de bouquets et de bonbons, avec des parties de plaisir chaque semaine. Son langage est entrelardé de slang ; elle a de l’esprit, une exubérance qui déborde en drôleries de toute sorte. Elle chante des chansons nègres avec une singulière effronterie, mais un certain flair ne lui manque pas et elle s’arrête avant de tomber dans le mauvais goût. Il est évident qu’elle se trace des bornes à elle-même ; c’est fort heureux, car sa mère est absente de son existence autant que si elle était déjà défunte. Miss May fait des visites, reçoit, donne des soirées, va partout, tantôt avec sa cousine, tantôt seule dans toutes les maisons où il y a une femme d’âge respectable. — Elle dit carrément à sir Mordaunt en l’invitant à venir chez elle : — Ayez soin de ne pas demander maman. — Et à Grâce : — Vous êtes charmante, et j’espère que vous viendrez aussi, mais pas avec votre frère.

C’est le gazouillement aigu d’un canari qui sort de sa jolie bouche, elle couvre la voix de tout le monde, et sa familiarité avec les jeunes gens est telle que Grâce demande ingénument : — Ont-ils été tous élevés ensemble ? — De fait, miss Clayton a dansé l’allemande pour la première fois quelques semaines auparavant avec sa plus ancienne connaissance. Ce genre d’Américaine charme les étrangers autant qu’il embarrasse les gens du pays, surtout ceux qui se piquent d’être anglomanes. Parfaitement honnête avec cela, justifiant le dire de l’amphitryon, M. Sims : — Les femmes en Amérique sont comme les épingles. Si profondément qu’elles enfoncent, leur tête les empêche toujours de se perdre.

Sir Mordaunt ne flirte que prudemment avec miss Clayton, qui d’ailleurs ne le trouverait pas assez riche ; il s’abandonne un peu plus à la séduction passagère d’une gracieuse miss Hurlstone, que nous voyons au théâtre causer et rire tout haut, tandis qu’entrent et sortent les représentans de la jeunesse dorée. Grâce à ce manège, personne n’entend l’opéra de Wagner, car dans toutes les autres loges découvertes, les femmes agissent de même, tournant parfois le dos à la scène. Antithèse du théâtre de Bayreuth !

Gunning, qui est épris de miss Ballinger, donne une fête en son