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matrimoniales lui revenaient, et, de nouveau, d’écrire à Mme Delaville-Jehannin. Excès de travail, mécontentement des hommes, ou pour quelque autre cause que ce soit, il semble aussi qu’en ce temps-là il ait passé tout près de la folie. « Il avait pour l’eau une horreur qui ne lui permettait pas de passer, sans une crise de nerfs, sur la Seine ou devant le bassin d’une place. » Il ne pouvait non plus « traverser un jardin public où se trouvaient plusieurs personnes rassemblées sans les croire occupées à médire de lui. » Un de ses frères est mort fou. Mais enfin les Études de la nature parurent en 1784, et cette fois le succès passa son espérance. Bernardin de Saint-Pierre était désormais célèbre, et l’aisance n’allait pas tarder à lui venir avec la célébrité.

Si nous rappelons après cela que Paul et Virginie paraissait quatre ans plus tard, en 1788, avec le dernier volume des Études de la nature, dont l’idylle était comme une sorte d’illustration, nous aurons nommé les seuls ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre qui soutiennent encore la gloire de son nom. À l’exception peut-être de la Chaumière indienne, les autres auraient tous péri que l’auteur n’y eût rien perdu. Il ne fera guère désormais que se recommencer pendant un quart de siècle, et les Harmonies de la nature elles-mêmes ne seront, comme on l’a dit, qu’une « pâle répétition des Études. »

Quelques lettres de femmes nous aideront encore à bien comprendre la nature du succès de Bernardin de Saint-Pierre, à ce moment précis du siècle. Mme Mesnard, la femme de l’un de ses amis, auquel même il avait voulu dédier ses Études, lui écrit l’une des premières :

« J’admire surtout deux passages. L’un nous peint la tourterelle d’Afrique avec sa teinte coralière sur le cou. Si vous reconnaissez dans cette tache la livrée de l’amour, j’ai reconnu son pinceau dans la peinture suave que vous en faites. L’autre morceau nous offre le spectacle sublime du soleil se jouant dans les tropiques, à travers les nuages qu’il colore de la manière la plus variée et la plus riche… Vous jugez avec quel intérêt j’ai dû lire un morceau où vous enseignez si bien l’art de nuancer les couleurs. Je voudrais faire mon profit de ces aimables leçons, et je ne crois pas que l’on pût pour cela me taxer de coquetterie, car enfin notre but est de plaire, et ce but, selon vous, rentre dans le système harmonique de la nature. »

Une autre correspondante, Mme Boisguilbert, lui écrit, au mois de novembre 1785 :

« Ces lectures, — celles qu’elle avait faites des « philosophes » ou des « encyclopédistes, — laissaient mon cœur vide, en contentant mon esprit. Je voyais l’histoire de la nature et n’entendais point parler de son auteur. Votre ouvrage, monsieur, bien différent, ne cherche, en nous éclairant, qu’à augmenter notre reconnaissance envers lui ; vous y faites rentrer l’homme dans ses droits, dont on cherche à le