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faire déchoir, en voulant lui persuader que c’est un orgueil insensé à lui de croire qu’il est entré pour quelque chose dans les vues du Créateur. » Et, dans une autre lettre, où elle s’étonne de l’intérêt tout inattendu qu’elle se sent prendre è la botanique : « Cette science, lui dit-elle, dont tous les noms sont, tirés de deux langues que je n’entends point, ne m’offrait que des mots sans idées, ne se gravait point dans ma mémoire. Vous la présentez sous un aspect bien plus intéressant, et elle redeviendra, je n’en doute pas, une de mes plus douces occupations. »

L’originalité des Études de la nature est bien indiquée là. Si le charme de style en est bien senti dans le dernier de ces deux passages, l’idée maîtresse n’en est pas moins heureusement saisie dans le premier. Avec son idée de la Providence, Bernardin de Saint-Pierre, venant après Voltaire et l’Encyclopédie, a essayé, avant Chateaubriand, de réconcilier la « nature, » non pas peut-être avec le « christianisme » encore, mais avec un Dieu dont la philosophie du siècle avait étrangement appauvri la substance. Il réintégrait dans la pensée de son temps la notion de la personnalité divine. Flatté d’être si bien compris, il entretint donc avec Mme Boisguilbert une assez longue correspondance, qui semble de sa part avoir changé promptement de caractère, et, d’un commerce épistolaire de félicitations réciproques, être devenue bientôt le courrier de ses confidences. La galanterie aussi s’en mêle, et les velléités amoureuses reparaissent. Il faut que Mme Boisguilbert fasse pour lui son portrait : « Je suis grande, et, comme vous paraissiez le croire, une blonde aux yeux bleus… Je ne suis nullement jolie… Le soleil a bruni mon teint, et en outre j’ai eu quatre enfans… » Mais elle lui parle d’une de ses nièces. Comment est-elle faite ? demande aussitôt Bernardin, et, les renseignemens ne se trouvant pas favorables, peu s’en faut qu’il ne se fâche brutalement avec sa correspondante. « Je ne doute pas qu’une amitié intime ne charmât mes peines, — répond-il à la proposition que lui fait Mme Boisguilbert de venir passer quelque temps auprès d’elle, à Pinterville, pour s’y soigner, — mais les affections exquises que j’ai éprouvées me rendent les communes indifférentes. »

Naturellement, Paul et Virginie ne pouvait qu’augmenter encore la ferveur, et on pourrait presque dire la piété de ses admiratrices. Les jeunes filles viennent à lui, Mlle Bauda de Talhouet, Mlle Lucette Chapelle, Mlle Audoin de Pompéry, Mlle de Constant, Mlle de Kéralio, Mlle Pinabel ; elles lui proposent le mariage ; et c’est lui toujours, dans cette revue de partis qui s’offrent à lui, c’est lui qui gronde, et qui gourmande, et qui se plaint, et qui blesse.

« Isabelle m’a demandé du café pour mardi dernier, écrit-il à l’une d’elles. Je l’ai attendue toute la matinée, et elle n’est point venue.