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de ce mariage, et les enfans du duc lui en surent un gré infini. On voit par les lettres qu’elle écrit au duc de Nivernais combien leur intimité était étroite, combien elle demeure mêlée à tous les événemens de la famille, avec quel soin elle conserve le sentiment des distances. « Vous recevrez dans peu de temps le portrait de Mme la duchesse de Nivernais ; je ne veux point vous dire à quel point ce sacrifice m’est difficile à faire, mais vous pouvez aisément vous l’imaginer. Il n’est pas dans l’équilibre des choses que les grands soient accablés par les bienfaits des petits. Aussi je ne doute pas que, s’il tombait à la nomination du pape quelque bon bénéfice, vous ne le fassiez obtenir à mon imbécile de neveu. Au vrai, ma charmante mère, ce serait une des plus belles actions et des grandes charités que vous pourriez faire. J’aurai l’honneur de vous en parler dans quelque temps, et je vous promets de vous porter encore bonheur si cela réussit. » Musicienne excellente, Marie-Anne composa pour la chapelle de la reine un superbe motet, et le roi lui donna un beau logement au Louvre, puis le cordon noir de l’ordre de Saint-Michel, qu’aucune femme n’avait encore obtenu. Faisant les honneurs du salon du duc de Nevers avec un art exquis, contant à merveille et possédant cette mémoire de l’anecdote, des mots-médailles qui forment la trame de l’histoire et la moitié du talent de la conversation, elle recevait les personnages les plus éminens, la comtesse de Toulouse, le duc de Penthièvre, et, chose inouïe, triomphe éclatant de la séduction mise au service d’une volonté persévérante, il devint de bon goût de lui présenter les nouvelles mariées au contrat desquelles le roi avait signé, privilège réservé à l’archevêque, au gouverneur et à l’abbesse de Saint-Antoine. Elle portait le grand panier, les deuils de cour, et elle avait, dit une grande dame du temps, « bon air et bonne grâce autant que possible, mais elle ne mettait pas de rouge comme nous autres, car c’est ici qu’auraient commencé l’usurpation et le ridicule. » Les grands paniers, la présentation des nouvelles mariées, l’ordre de Saint-Michel, le deuil de cour, rien de mieux ; mais si elle avait usé du rouge, elle était vouée au ridicule et traitée d’usurpatrice ! Quel trait de mœurs, et, lorsqu’on y réfléchit, combien ressemblent à la grande dame, font toutes les concessions importantes, si on leur réserve une petite case où se niche l’amour-propre !

Quinault (Françoise)[1], la plus spirituelle et la plus philosophe des bonnes comédiennes, celle qui lançait le mieux le trait sur les

  1. Honoré Bonhomme, Œuvres inédites de Piron ; Samuel Rocheblave, Essai sur le comte de Caylus ; Paul de Musset, les Femmes de la Régence ; Arsène Houssaye, Galerie du XVIIIe siècle, 4 vol.