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impliquée dans cette notion de la nécessité des lois de la nature, — c’est de là que part Fontenelle pour fonder sa croyance au progrès. « La question se réduit, dit-il, à savoir si les arbres d’autrefois étaient plus grands que ceux d’aujourd’hui. Il ne paraît pas que les chênes du moyen âge aient été moindres que ceux de l’antiquité, ni les chênes modernes que ceux du moyen âge… La nature a entre les mains une certaine pâte qui est toujours la même, qu’elle tourne et retourne sans cesse en mille façons et dont elle forme les animaux, les plantes et les hommes. » On voit bien là, si je ne me trompe, la liaison des idées de progrès et de stabilité des lois de la nature. Pour que le progrès soit possible, il faut que nous puissions compter, en quelque sorte, sur la nature, et que, de siècle en siècle, ses révolutions ou ses caprices n’anéantissent pas notre science en en métamorphosant, en en subtilisant, si je puis ainsi dire, ou en en détruisant l’objet. Toute la physique, par exemple, ou toute la chimie ne tomberaient-elles pas, si nous pouvions craindre un instant que les propriétés de la matière ne fussent pas constamment les mêmes, — au moins pour nous ? mais si la constitution intime de notre corps n’était plus demain ce qu’elle est aujourd’hui, que signifierait, en physiologie, par exemple, ou en médecine, le mot même de progrès ? Comme l’on ne peut donc mesurer les distances qu’à partir d’un point fixe ou la quantité du mouvement qu’à partir d’une origine certaine, le progrès manquerait de repère et de critère à la fois si les lois de la nature n’étaient pas données comme immuables. Et c’est pourquoi, comme nous le disions, avant que l’idée de la stabilité des lois de la nature fût profondément entrée dans les esprits, l’idée de progrès ne pouvait pas s’organiser.

Elle ne le pouvait pas davantage aussi longtemps que les sciences, isolées les unes des autres, et sans liens ou privées de communications entre elles, continueraient de former, selon l’expression de Fontenelle, des « souverainetés indépendantes. » Plus nouvelle au XVIIIe siècle, ou renouvelée de plus loin que l’idée de la stabilité des lois de la nature, c’est à cette idée de la solidarité des sciences qu’il semble que le nom de Fontenelle doive surtout demeurer attaché. Je ne crois pas en effet qu’il y en ait une autre sur laquelle il soit revenu plus souvent, plus volontiers, — dans les grandes occasions, quand il écrit ses Préfaces pour l’Histoire de l’Académie des Sciences, — ni dont il ait mieux vu les conséquences à l’infini :


Jusqu’à présent, dit-il, dans la Préface de 1699, l’Académie des Sciences ne prend la nature que par petites parcelles. Nul système général… Les recueils qu’on présente au public ne sont composés que de morceaux détachés et indépendans les uns des autres. Aujourd’hui