Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/920

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courage enfin d’être lui-même, et sans quitter pour cela tout à fait l’églogue ni la tragédie, sans renoncer à tenir dans les salons de son temps le rôle d’un arbitre des élégances intellectuelles, il se donna davantage à ces sciences dont il n’avait guère jusque-là qu’effleuré la superficie. Je n’oserais juger ici ni ses Éloges académiques, ni la manière dont il comprit ses fonctions de secrétaire perpétuel. Mais ce que je puis dire, c’est que, si l’on retrouve dans ses Éloges l’auteur de ses Lettres galantes et de ses Pastorales, si les fleurs, plus abondantes, y sont souvent aussi plus artificielles qu’on ne le voudrait, cependant la lecture, aujourd’hui même encore, en est singulièrement instructive, et le plaisir que nous y trouvons nous est un sûr garant du profit qu’en ont jadis tiré les contemporains de Fontenelle. De toutes les manières, par leurs épigrammes ou par leurs réticences, les Éloges persuadaient le respect, sinon encore la religion de la science. Et, pour le secrétaire perpétuel de l’Académie, je doute qu’aucun de ses successeurs ait rendu de plus grands services, de plus réels ou de plus durables, si c’est bien grâce à lui que deux idées sont entrées dans la science pour n’en plus sortir : l’une, qui l’a fondée, c’est l’idée de la Stabilité des lois de la nature ; et l’autre qui l’a comme égalée aux proportions de l’immensité de l’univers : c’est l’idée de la Solidarité des sciences.

Ce sont, comme je l’ai dit ailleurs, deux idées cartésiennes. Mais je crois avoir également montré comment le jansénisme en avait arrêté ou suspendu le développement[1]. Elles reparaissent avec Fontenelle, dont on sait, pour le dire en passant, que la foi cartésienne ira jusqu’à contester les théories de Newton. Essayons d’en montrer le rapport avec l’idée de progrès.

À peine est-il besoin d’insister sur la première. S’il n’y a de lois que du général, à plus forte raison, pourrait-on presque dire, il n’y en a que du permanent, de ce qui demeure, de ce qui subsiste identique à soi-même sous l’écoulement des phénomènes ; et la notion de nécessité est inséparable de l’idée même de loi. Cette nécessité n’est pas toujours la même, toujours égale, toujours également contraignante ou coercitive. Mais si l’on peut quelquefois la tourner, et si l’on peut surtout quelquefois concevoir qu’il s’y mêle, pour parler comme les philosophes, un peu de contingence, on ne peut ni fonder, en dehors d’elle, ni concevoir ou former seulement l’idée de la science. C’est de là, sans le dire trop affirmativement, en termes trop provocateurs, — parce que ce n’est pas sa manière, toujours discrète, et puis, parce qu’il sait bien que la négation du « surnaturel particulier » ou du miracle est

  1. Voyez dans la Revue du 15 novembre 1888, Jansénistes et Cartésiens.