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d’orgueil et de rigueur, esprit tout d’une pièce, cœur sans pitié. Dès lors il peut bien y avoir conflit dramatique entre ces deux groupes, il ne saurait y avoir en nous de conflit moral ; nous tenons sans hésitation ni scrupule, et tout d’une pièce à notre tour, non pour le divorce, mais pour Mme Mauclerc, une divorcée. La marquise d’ailleurs nous met d’autant plus à l’aise qu’elle manque elle-même non-seulement à la charité, mais à la logique, sa dureté pour Mme Mauclerc ne s’accordant guère avec sa miséricorde, sa complaisance même pour M. de Savigny et Mme d’Albiac, qu’elle ne s’interdit ni de rencontrer ni de recevoir. Cette contradiction, cette préférence donnée au divorce masculin suivi d’adultère sur le divorce féminin suivi de secondes noces, ne paraît conforme ni au caractère entier de Mme de Trêves, ni, je crois, à la morale mondaine, quelles qu’en puissent être les inconséquences.

Et au fond, le mariage des deux jeunes gens, même étant données la nature et les idées de Mme de Trêves, n’exigeait, pour être possible, et heureux, ni tant de cruauté d’une part, ni, de l’autre, tant de sacrifices. Il y a chez la marquise bien de la méchanceté et chez Mme Mauclerc bien de la douleur gratuite, et perdue. On imagine aisément entre les deux belles-mères la possibilité d’un régime plus doux : pleine liberté pour les jeunes mariés de voir à leur gré Mme Mauclerc, et pour la marquise, à son gré aussi, de ne la point fréquenter. Voilà une transaction dont n’eût souffert la vérité d’aucun caractère. Il est vrai que du même coup la pièce tombait. Et c’eût été dommage, car elle a du mérite, et sur ce postulat une fois admis elle est bien posée.

Le second acte et le troisième sont pleins de bonnes choses. Les fameuses « scènes à faire » y sont faites, les unes avec force, les autres avec grâce, toutes avec mesure ; il y a là, sans compter le sens du théâtre, de l’originalité, de la finesse morale, du goût et des dessous délicats. Excellentes, au second acte, les deux scènes entre la marquise et Mme Mauclerc, puis entre Mme Mauclerc et sa fille. La première nous a rappelé la scène de Maître Guérin, plus touchante encore, où une autre mère s’efface également, et souffre des mépris pour le bonheur de son enfant. Et l’enfant ici ne devinera même pas la sainte souffrance, parce que l’auteur sait bien, et le montre avec une grâce indulgente, que les vingt ans amoureux ne regardent guère au chagrin dont leur joie est faite, aux larmes qui paient leurs sourires.

J’aime aussi le troisième acte, bien qu’il m’indispose un peu contre la princesse. Cette vaillante petite personne, avec les meilleures intentions du monde et la plus louable crânerie, a commis pourtant une imprudence en exposant M. et Mme Mauclerc à rencontrer dans son salon M. de Savigny. Qu’en résulte-t-il ? Une série d’incidens fâcheux, dramatiques d’ailleurs et qui s’enchaînent vivement : d’abord la réplique si habilement insolente du commandant, vengeant, par une insulte