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pareille et mieux justifiée, l’insulte faite à sa femme par Mme d’Albiac ; puis la scène très serrée et très nerveuse entre les deux maris. Il y a là un duel éludé longtemps par Mauclerc, sans lâcheté, cela va sans dire, au contraire avec une hauteur d’âme, une éloquence et de plus une adresse qui donnent à la querelle de l’originalité et de la grandeur. Pourquoi faut-il que le dernier défi de Savigny rejette le dialogue et l’action dans la banalité ?

Le dernier acte enfin, qui n’est pas bon, contient cependant encore une bonne scène. La pauvre petite Marthe vient d’apprendre que son père se bat avec le commandant ; ils vont lui tuer son bonheur. Sans doute elle se jettera aux pieds de son père : — « Je sais, lui dit-il en prenant les devans, tout ce que tu vas me dire… » — Mais elle ne lui dit rien : elle est sa fille et ne peut, ne doit rien tenter ; elle n’implore, elle ne maudit pas, elle pleure sans violence et sans colère. Un auteur vulgaire l’eût fait s’écrier et se traîner à terre ; c’est d’un esprit et d’un cœur distingués d’avoir préféré ce silence plein de respect et de navrante douceur.

Où donc est la thèse en tout cela ? Nulle part, et je ne songe pas à m’en plaindre. M. Jannet s’est borné à poser et à traiter en auteur dramatique une situation dramatique, résultant d’un divorce. Quant à la pièce encore à faire, attrayante et redoutable, sur le divorce même, elle devra, je crois, aborder hardiment la question religieuse. L’indissolubilité du lien conjugal étant aujourd’hui le plus grave sujet de contradiction ou de dissidence entre la loi de l’État et la loi de l’Église, le point le plus délicat où elles ne se rencontrent pas et demeurent étrangères l’une à l’autre, c’est entre l’une et l’autre qu’il serait intéressant de resserrer le débat. Mais j’ai peur alors que le dénoûment soit encore plus difficile, le nœud ayant été serré par des mains divines.

L’Odéon n’est pas le Gymnase, et Mariage d’hier est joué plus que convenablement, bien que l’ensemble de la troupe manque peut-être d’aristocratie. La marquise pourtant (Mlle Arbel) a la dignité et même la raideur qu’il faut ; M. Albert Lambert (le marquis) plus de rondeur peut-être qu’il ne faudrait. Mlle Dux joue la petite princesse avec une vaillance et une générosité de vingt ans. Princesse ! c’est peut-être beaucoup pour elle ; baronne eût suffi. Toute charmante est Mlle Rose Syma dans un joli rôle, Mlle Brindeau n’est pas toujours mélodramatique, et M. Brémond donne au personnage du commandant beaucoup de fermeté, de douceur et de distinction.


CAMILLE BELLAIGUE.