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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 octobre.

Au milieu des vulgarités du temps, des dépressions intellectuelles et des conflits de passions ou d’intérêts qui agitent le monde, ce n’est jamais sans une indéfinissable tristesse qu’on voit disparaître un de ces hommes qui ont représenté une part de l’idéalité humaine au-dessus ou en dehors du tumulte banal des choses. M. Ernest Renan, qui vient de s’éteindre, vaincu par la maladie, a eu la fortune d’être un de ces privilégiés qui captivent leur siècle par les dons de leur esprit, par la complexité même d’un génie formé loin du bruit, dans la solitude et la méditation, fait d’audace ingénue et de grâce. Il a connu la popularité, au moins une certaine popularité sans avoir rien de ce qui fait les hommes populaires ; il était plutôt un personnage d’aristocratie pensante et lettrée. Il a eu une action visible sur ses contemporains sans avoir une de ces doctrines précises et fortes qui saisissent les esprits et pénètrent la masse humaine. Peut-être est-ce justement par ce qu’il a eu d’insaisissable et d’indéfini, parce mélange de science et d’imagination, de philosophie, d’intuition historique et de poésie qui était en lui, peut-être est-ce par tout cela qu’il a le mieux répondu aux contradictions intimes d’un temps de transition. Il a été le héros spirituel d’une génération inquiète, troublée, impatiente d’échapper aux croyances positives pour chercher d’autres certitudes toujours fuyantes. Il a représenté, avec tout l’éclat et les