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il s’est établi à Carmaux une sorte de régime révolutionnaire avec une municipalité complice, des ouvriers enrégimentés et manœuvres par les syndicats, sous la protection de quelques députés qui sont accourus comme à un rendez-vous de trouble et se sont hâtés de faire de la malheureuse petite ville une façon de quartier-général de guerre sociale.

Et il se passe, en vérité, des choses étranges dans ce petit coin du midi, où le chômage règne, où il n’y a plus par le fait ni lois respectées, ni autorités régulières, ni liberté du travail. C’est la municipalité qui fait la police pour la grève avec ses patrouilles, sans tenir compte de rien, ni des règlemens, ni de la présence des agens de l’État. Les députés qui se sont institués, sans mandat, sans titre, les patrons de l’agitation gréviste, ne sont occupés qu’à souiller les colères, à entretenir par leur langage les illusions, les fausses espérances d’une population abusée. Ils se démènent, dictent des conditions et rédigent des ultimatums, avec la prétention de réduire la compagnie à merci. Ils interpellent bruyamment le gouvernement, ils protestent contre les plus simples mesures de défense publique, contre les arrêts de justice punissant des violences. Tout ce qu’ils craignent le plus, c’est que la grève cesse. Ces jours passés encore, nombre d’ouvriers fatigués du chômage, justement inquiets des perspectives de la misère, ont paru disposés à rentrer à la mine, à reprendre leur labeur. Aussitôt, sous la paternelle direction de la municipalité et des députés, on s’est mis en devoir de faire marcher les patrouilles pour surveiller les maisons des « suspects, » c’est-à-dire des ouvriers qui voulaient travailler, pour garder les avenues des mines et empêcher à tout prix le retour au travail. Et ces députés, qu’on pourrait appeler les entrepreneurs ou les régisseurs de la grève de Carmaux, se croiront quittes parce qu’ils auront interpellé les ministres dans le parlement ou parce qu’ils se seront occupés à recueillir quelques secours pour venir en aide à une population victime de leurs décevantes excitations. Qu’ils imposent à la compagnie elle-même une épreuve difficile par cette guerre organisée contre elle, c’est possible ; mais les ouvriers qu’ils ont poussés à la grève, qu’ils abusent en prétendant défendre leur cause, ces ouvriers seront-ils moins épuisés par le long chômage qu’ils auront eu à subir ?

Voilà bien, en effet, près de deux mois que cela dure, et ce n’est pas fini : rien ne semble finir à Carmaux. Que fait cependant le gouvernement ? Ah ! c’est justement ici la question délicate. Il faut dire simplement ce qui est. Il n’est point douteux que, si dès l’origine le gouvernement avait pris l’attitude qu’il devait prendre, non pas une attitude menaçante ou cassante, mais l’attitude tranquille, mesurée et résolue d’un gouvernement qui sait ce qu’il veut, qui est décidé à faire respecter la paix publique, les lois, la liberté du travail, — non, il n’est pas douteux que, si le ministère eût agi ainsi, on n’en serait