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pas là. Tout aurait pris une autre tournure. Le gouvernement a cru plus habile ou plus commode de ne pas se compromettre. Il n’a rien fait que d’une façon décousue ou intermittente ou tardive ; il a temporisé ou éludé, tantôt ayant l’air d’envoyer des forces, tantôt arrêtant les troupes en chemin, livrant l’ordre d’une petite ville industrieuse au hasard de toutes les excitations, retenant ses gendarmes devant les patrouilles grévistes, dialoguant avec les députés qui ont abusé de sa longanimité ou de ses confidences, — et en définitive laissant les passions s’irriter, le mal s’aggraver. Il s’est effacé, disions-nous, le plus qu’il a pu ; nous nous trompons : il s’est réveillé un jour pour annoncer solennellement qu’il allait délibérer sur la nécessité « de modifier la législation sur les mines et d’armer davantage l’État à l’égard des compagnies : » c’est-à-dire que pour apaiser les passions, il leur donnait un nouvel aliment par une menace indirecte adressée à la compagnie. En réalité, il ne pouvait rien avec sa menace d’une intervention de l’État qui susciterait bien d’autres problèmes, qui soulèverait toutes les grandes industries troublées dans leur sécurité ; mais il déguisait pour le moment une défaillance de plus. Le gouvernement a fait à Carmaux ce qu’il fait avec toutes ces indociles municipalités socialistes qui le bravent, réunissant des congrès, multipliant les règlemens contre les lois, — et qu’il laisse faire.

Qu’est-il arrivé ? Est-ce que le gouvernement a rien gagné par cette politique d’évasion et d’impuissance ? Il n’a réussi ni à rassurer le sentiment public, ni à désarmer les agitateurs. Il n’a réussi qu’à s’affaiblir lui-même, et aujourd’hui il est aussi embarrassé pour en finir avec ces affaires de Carmaux que pour maintenir un acte légitime, sa convention commerciale avec la Suisse, contre les protectionnistes qui le menacent. Il se sent pris entre les radicaux, qui vont le mettre sur la sellette pour ce qu’il a fait ou pour ce qu’il n’a pas fait à Carmaux, et les protectionnistes qui vont lui demander compte d’un essai pourtant assez timide de libéralisme commercial.

C’est bien assez pour lui créer peut-être d’assez sérieux ennuis à cette rentrée de session où on l’attend, et c’est justement pour suffire à sa tâche qu’il aurait eu besoin de garder un peu de cette autorité qu’il a trop légèrement gaspillée en détail depuis quelque temps. Qu’en sera-t-il réellement de cette convention commerciale avec la Suisse, qui va être un des premiers objets de discussion dans les chambres ? Voilà une question qui n’est pas la moins sérieuse du moment. Évidemment le ministère français, en prenant une initiative qui engage sa responsabilité, en négociant avec la Suisse, le ministère est resté strictement dans son droit constitutionnel. De plus, en se dégageant à demi de ce terrible étau du tarif maximum et du tarif minimum où la dernière loi de douanes a voulu l’enfermer, en faisant à la Suisse des concessions sur un certain nombre, un bien petit nombre d’articles, il