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l’a arrêté dans ses formes fixes et sa hiérarchie rigoureuse. L’Inde, c’est Brahma sensible. Si l’Indien est polygame, c’est aussi que Brahma est le polygame universel, et la famille indienne n’est que l’image de l’union multiple de Dieu avec la nature ; et si, encore, dans la famille indienne le chef de famille est tout et le reste n’est rien, c’est que, dans le mariage de Dieu avec la nature, Dieu est seul réel, et le reste fiction, apparence et néant. Si l’Hébreu ne connaît point de castes (ce qui est contestable), c’est que son Dieu n’est pas divisé, n’est pas fractionné, n’est pas hiérarchisé. Dieu un et indivisible, peuple un et égalitaire. Si les païens ont été esclavagistes, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas être païens sans être esclavagistes. Point de polythéisme sans esclavage. L’olympe est une hiérarchie de grands seigneurs, de moindres seigneurs, de vassaux, d’esclaves, d’esclaves d’esclaves. Tel olympe, telle terre, tels Dieux, tels hommes. C’est Mercure qui a créé Dave, et le cyclope l’esclave des mines. D’où est sorti le moyen âge ? Tout entier du dogme de la prédestination : « je crois voir le moyen âge tout entier naître du seul dogme de l’inégalité de l’amour divin, le petit nombre des élus former une sorte d’oligarchie céleste sanction de la féodalité terrestre, et la grâce donnée sans mérite ni démérite appeler le règne du bon plaisir sur la terre comme dans le ciel. » Voilà l’histoire du monde ; elle n’est rien autre chose que l’histoire de Dieu. Elle naît de l’Idée de Dieu par une sorte d’incarnation, de génération plutôt ; l’idée, quand elle est religieuse, et uniquement quand elle est telle, créant immédiatement le fait, la série de faits conformes à elle, calqués sur elle et qui la réalisent. — Aussi une idée religieuse, si mince et peut être puérile qu’elle vous paraisse, au milieu des événemens les plus redoutables, se moque des événemens, n’en tient compte, et elle a bien raison de les mépriser. L’univers tremble sous les pas des Barbares. De quoi s’occupe l’Église ? De décider si le Dieu-Homme a une double volonté, l’une divine, l’autre humaine. Cela seul l’intéresse, « elle ferme l’oreille à tout autre bruit ; elle dit la première le mot de la Convention : Périsse l’Univers plutôt qu’un principe ! » Ne souriez pas : elle a raison. Cette idée peut mépriser les Barbares ; car « elle va porter pendant mille ans tout le monde social. » En effet, « sitôt que le concile a établi deux natures et deux volontés dans le Dieu chrétien, il arrive que le monde social, se formant sur ce plan, se partage en deux volontés, en deux natures : l’une divine, qui est l’Église ; l’autre humaine, qui est l’État. Voilà la constitution du genre humain changée par cette seule déclaration qui, tout à l’heure, paraissait stérile. » — Et ne voyez-vous pas qu’aussi bien c’est Dieu qui mène le monde qui s’agite, non pas seulement par l’intermédiaire, pour ainsi parler, de cette idée que les hommes se