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Ce sont les liquides distillés et les progrès successifs accomplis dans leur étude que je vais maintenant décrire.


III

« En haut les choses célestes, en bas les choses terrestres ; » tel est l’axiome par lequel les alchimistes grecs désignent les produits de toute distillation et sublimation. Ils déclarent en propres termes qu’on « appelle divine la vapeur sublimée émise de bas en haut… Le mercure blanc, on l’appelle pareillement divin, parce que lui aussi est émis de bas en haut… Les gouttes qui se fixent aux couvercles des chaudières, on les appelle également divines. » Nous retrouvons ici les indications d’Aristote, de Dioscoride et d’Alexandre d’Aphrodisie. — Mais, selon leur usage, les alchimistes traduisirent ces notions purement physiques par des symboles et par un mysticisme étrange. Déjà Démocrite (c’est-à-dire l’auteur alchimique qui a pris ce nom) appelle « natures célestes » les appareils sphériques dans lesquels on opère la distillation des eaux. La séparation que celle-ci opère entre l’eau volatile et les matériaux fixes est exprimée ainsi dans un texte d’Olympiodore, qui vivait au commencement du ve siècle de notre ère. « La terre est prise dès l’aurore, encore imprégnée de la rosée que le soleil levant enlève par ses rayons. Elle se trouve alors comme veuve et privée de son époux, d’après les oracles d’Apollon… Par l’eau divine, j’entends ma rosée, l’eau aérienne. » De même Comarius, écrivain du VIIe siècle, retrace le tableau allégorique de l’évaporation et de la condensation qui l’accompagne, les liquides condensés réagissant à mesure sur les produits solides exposés à leur action : « Dis-nous… comment les eaux bénies descendent d’en haut pour visiter les morts étendus, enchaînés, accablés dans les ténèbres et dans l’ombre, à l’intérieur de l’Hadès ; .. comment pénètrent les eaux nouvelles… venues par l’action du feu : la nuée les soutient ; elle s’élève de la mer, soutenant les eaux. »

Ce langage singulier, cet enthousiasme qui emprunte les formules religieuses les plus exaltées, ne doivent pas nous surprendre. Les hommes d’alors, à l’exception de quelques génies supérieurs, n’étaient pas parvenus à cet état de calme et d’abstraction qui permet de contempler avec une froideur sereine les vérités scientifiques. Leur éducation même, les traditions symboliques de la vieille Égypte, les idées gnostiques, dont les premiers alchimistes sont tout imprégnés, ne leur permettaient pas de garder leur sang-froid. Ils étaient transportés et comme enivrés par la révélation de ce