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resté bien obscur, puisqu’un Vossius, en 1685, a pu écrire, sans compromettre sa réputation de savant, que la France contenait « cinq millions d’âmes. »

Sous Louis XV et sous Louis XVI, les Français, malgré bien des épreuves encore, ont recommencé à croître et à multiplier. M. Levasseur, qui réduit à 18 millions la population que nourrissait en 1715 le territoire actuel de la France, la porte à 24 millions 1/2 vers 1770 et à 26 millions en 1789. Ici ce n’est plus la pénurie, mais bien la surabondance des documens à utiliser qui rend l’hésitation possible. La question de la population a perpétuellement été à l’ordre du jour pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, et les évaluations s’offrent de tous côtés, appuyées le plus souvent sur le mouvement des naissances, mariages et décès, que l’on commençait à enregistrer avec soin et dont l’abbé Terray, en 1772, a contribué à assurer le dépouillement méthodique. Rappelons, sans nous y arrêter, les recherches du marquis de Mirabeau, de Montesquieu, de Voltaire ; puis celles de Messance, d’Expilly, de Buffon, de Moheau, de Necker, de Condorcet et Laplace, de Dupont de Nemours, de Calonne, du chevalier des Pommelles, de Bonvallet des Brosses, de Lavoisier, de Montesquiou, etc. Pour 1789, les indications varient de 23 à 29 millions. Le chiffre intermédiaire auquel s’est arrêté M. Levasseur (26 millions) paraît fortement motivé. Constatons cependant qu’il a rencontré, parmi les apologistes de l’ancien régime, d’assez ardens contradicteurs[1].


II

C’est en 1801 que la France, pour la première fois, s’est mise à compter ses enfans, un à un. Les dénombremens qu’avaient prescrits, à diverses reprises, la Constituante, la Convention, le Directoire, étaient tous restés en chemin. Les 98 départemens de 1801 donnèrent un peu plus de 33 millions d’âmes (33,112,000), dont 27,350,000 pour le territoire que nous ont laissé les traités de 1815. Un second recensement, fait en 1806, aboutit pour ce même périmètre à un total très supérieur : 29,107,000. Est-ce à dire qu’il ait été gagné près de 2 millions d’âmes en cinq années ? Assurément non ; et cet écart excessif convainc d’erreur, à lui seul, soit le chiffre de 1801 qui serait trop faible, soit le chiffre de 1806 qui serait trop fort. En 1811, on se borna à établir le nombre probable des habitans, en ajoutant les naissances et en retranchant

  1. Voir, dans la Réforme sociale, le compte-rendu des deux séances de la Société d’économie sociale des 11 novembre 1889 et 10 février 1890.