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Un bout de ville en longueur dont l’axe est une voie ferrée parcourue de grondemens et de sifflemens accompagnés de nuages de vapeur et de fumée, sur une côte extraordinairement rocheuse, voilà Coquimbo. Nous ne faisons que passer, et, dans l’après-midi, nous mettons le cap sur la Révolution.

Deux jours de mer et un arrêt. C’est Antofagasta. Nous touchons au tropique. Nous voilà loin de Magellan et de ses montagnes neigeuses. La température reste douce cependant sous ce beau climat. Il fait à peine plus chaud qu’à Lota, que nous avons laissé à des centaines de lieues derrière nous.

Mais que cette navigation se traîne, mon Dieu ! Voici aujourd’hui, jour pour jour, deux mois que nous sommes sortis du Havre !

Antofagasta fait partie des territoires que l’absorbant Chili s’est annexés par voie de conquête. Cette ville appartenait antérieurement à la Bolivie.

Elle est située dans le nord du désert d’Atacama. C’est encore le plein sable. Un fond de montagnes brûlées et une plage aride, pas un brin d’herbe, tel est le cadre. Tout y est hors de prix. Il s’y trouve une vacherie dont le fourrage est apporté par les bateaux. La consommation de l’eau même y est une dépense, car on n’y boit que l’onde amère distillée. On ne vient ici que pour gagner de l’argent et partir. C’est le salpêtre qui fait la fortune d’Antofagasta et d’une longue étendue de la côte, en remontant au nord. C’est aussi le salpêtre qui a aiguisé les convoitises chiliennes.

À Antofagasta, nous sommes en pleine insurrection.

Et, tout de suite, on croise dans la ville les musiques familières. Ce sont les mêmes cuivres, les mêmes guerriers que là-bas. Seulement, ce sont des congressistes.

Une partie de l’escadre est en rade, prête à partir pour une opération décisive.

Dans un petit café où nous écoutons causer, on attribue aux balmacédistes des exploits tantôt barbares, tantôt ridicules, — à charge de revanche de la part des narrateurs du sud. On raconte la difficulté toujours croissante du dictateur à conserver et à recruter ses soldats, et on rit de cette dépêche qu’un colonel aurait adressée à un de ses collègues : « Je vous envoie soixante braves volontaires. Veuillez me retourner les menottes avec lesquelles je vous les expédie. »

Nous parcourons la ville, ce qui est vite fait. Les toits offrent une particularité : ils portent des manches à air, comme les navires. C’est pour les chaleurs de l’été.

Au pied de la montagne, un grand cimetière. Le terrain est la seule chose qui soit bon marché ici. Beaucoup de caveaux de