Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

famille en planches ; plusieurs avec portes vitrées. On aperçoit des cercueils de toutes dimensions, à l’espagnole, très décorés, satinés, gaufrés, enrubannés comme des boîtes de dragées. Des bouquets, quelques accessoires d’une toilette ayant appartenu à une jeune fille : dormez comme tant d’autres, Dolorès, Carmen, Conception, Mercedes ! Les noms féminins espagnols sont doux, charmans, vraiment faits pour appeler des jeunes filles.

Dans certains pays, les nécropoles sont élevées suivant une architecture, avec des dispositions, une ornementation, que le mot funèbre qualifie exactement. Ailleurs, on préfère un emplacement souriant, des attributs parlant de la vie passée. Cette antithèse est d’un effet plus touchant, et on pourrait la croire plus savante, alors qu’elle est seulement plus naïve.

Trois jours après, nous nous arrêtons, à la tombée de la nuit, devant l’ex-cité péruvienne de Pisagua, mais pour une heure ou deux seulement. Nous ne descendons même pas.

Nous n’apercevons qu’une puissante montagne à paroi unie et nue, surgissant brusquement de la plage où s’élève Pisagua. La ville s’illumine à mesure que l’obscurité s’épaissit. Elle est là devant nous, toute scintillante au pied de son colossal mur noir.

Plus nous avançons, plus la montagne côtière se fait rapprochée, élevée, énorme. On sent qu’on arrive aux chaînes et aux plateaux formidables du Pérou et de la Bolivie.

Mais que ce Chili est grandi Voilà 4,000 kilomètres de côtes que nous longeons en droite ligne depuis Magellan, et c’est toujours le Chili !

Aujourd’hui, nous sommes à Arica, un des centres classiques du tremblement de terre. À plusieurs kilomètres dans les terres, on voit encore les débris d’un grand navire à vapeur qui fut lancé jusqu’à cette distance, il y a longtemps déjà, par la formidable vague que détermina la commotion du sol.

Le pont jadis si nu du Tafna est couvert d’un pittoresque et gênant encombrement de passagers bon marché. Il semble qu’on entre dans une autre civilisation. On voit dans cette foule quelques Européens peu capitalistes et beaucoup d’indigènes de la côte. Familles entières installées en plein air, faisant la cuisine à la bohémienne et dormant avec la couverture pour tout abri.

Mes anciens compagnons de route m’ont quitté depuis longtemps à Valparaiso. Là, j’en ai pris d’autres, gens arrivés au Chili depuis des années et allant chercher fortune plus loin encore, au Pérou, où je les quitterai pour une destination encore plus reculée que la leur. Dans deux jours, nous arriverons à Mollendo, en plein pays péruvien. Là, commencera, pour moi, le vrai voyage. Le voyage