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Je ne voudrais pas faire Burnouf plus sévère qu’il ne l’est à l’égard des Anglais. Sa première impression leur est très favorable : « Je n’ai jusqu’ici éprouvé que des politesses : on ôte son chapeau quand je parle ; enfin, sur la voiture de Londres à Oxford, j’ai été, de la part de tous les Anglais, l’objet d’attentions tout à fait délicates quand ils ont su que j’étais Français. » Aussi a-t-il vite fait connaissance avec ses compagnons de route et, quand leur froideur a été un peu réchauffée à son feu français, ils causent politique, et ils s’entendent fort bien, sauf l’un d’eux, un tory, enragé du changement de ministère, qui le regarde d’un œil stupide et féroce. Il faut dire qu’on était en 1835, et l’arrivée des whigs au pouvoir avait momentanément amené un revirement dans les sentimens du peuple. On brisait les vitres de Wellington, et on portait aux nues Napoléon. Eugène Burnouf est obligé de prier ses voisins de ne pas continuer : « Loin de chez moi, seul au milieu d’étrangers qui ne me connaissent pas, ces impressions me sont trop pénibles. Mais je sais par expérience maintenant qu’il y a des hommes justes partout, et qu’il y a de l’admiration en Angleterre pour le génie français. »

L’impression que lui produit Oxford rappelle ses descriptions enthousiastes des villes des bords du Rhin : « De quelque côté qu’on se tourne, on voit des palais, des tours, des coupoles. On aperçoit des édifices qui s’élancent les uns par-dessus les autres. On demande leurs noms ; il y en a tant qu’on ne peut les retenir. Celui-ci a été bâti par les Saxons à la fin du xe siècle ; celui-là est du xiie siècle ; ceux-ci du xiiie siècle. Ici on brûlait les hérétiques ; là on a pendu l’évêque Cramer. Ceci est l’église du Christ ; voilà le collège d’Emmanuel. C’est vraiment un beau et solennel spectacle que la vue de toutes ces vieilles bâtisses de tous les âges et de toutes les teintes, depuis le noir le plus antique et le plus foncé jusqu’au blanc le plus clair et le plus moderne. »

Je ne sais si je me trompe, mais en comparant cette description si vivante à celle de Heidelberg, la ville où les étudians sont rois, comme les dragons à Lunéville, il me semble y retrouver quelque chose de la différence du génie des deux peuples. Elle paraît encore plus vivement dans l’accueil qu’il reçoit des savans anglais. Là aussi nous trouvons de belles figures : Wilson, qui personnifie l’Inde en Angleterre. La rencontre de ces deux hommes vaut la peine d’être rapportée : a Je suis introduit dans son cabinet, et je vois assis auprès d’une table et entouré de manuscrits sanscrits de toutes les grandeurs et de la plus belle conservation, cet homme réellement célèbre par la variété de ses connaissances, la grandeur et le nombre de ses travaux, son talent de style et