Mais quelque grande que fût son impatience de revoir « le pays où il était né, » Jean ne se croyait pas encore relevé de la garde que les frères du roi lui avaient confiée. Il suivit saint Louis à Aix, à la Sainte-Baume, et ne le quitta pas avant de l’avoir vu rentrer dans ses domaines, à Beaucaire. Ce fut là que les deux amis se séparèrent au bout de cinq années d’une intimité presque ininterrompue ; mais leur amitié était trop forte pour que la séparation pût être définitive : leurs rapports se continuèrent en dépit des séjours que le sénéchal dut forcément faire dans ses terres.
Après ces longues années d’absence pendant lesquelles il n’avait cessé de montrer toutes les vertus du chrétien et du chevalier, Joinville rapportait, pour tout butin, les trophées les plus appropriés aux unes comme aux autres : l’écu de Geoffroy V qu’il avait été pieusement rechercher au krak des Hospitaliers où son oncle était mort en 1205, et des reliques précieuses ; mais il revenait appauvri. Malgré la sage gestion de sa mère, ses hommes privés de leur seigneur avaient été à ce point victimes des officiers du roi et du comte de Champagne, que le domaine ne put jamais s’en relever. Jean comprit qu’une seconde absence ruinerait sa seigneurie, et lorsque, treize ans plus tard, saint Louis le pressa de l’accompagner dans sa nouvelle croisade, il répondit qu’il lui semblait agir plus conformément à la volonté de Dieu en restant en France « pour aider et défendre son peuple. » Sans doute, les intérêts de ses hommes se confondaient ici avec les siens ; mais la concession d’une charte de franchise, les dédommagemens qu’il accorda à ses bourgeois lorsqu’il crut avoir empiété sur leurs droits, et surtout le dévoûment bien désintéressé qu’il avait montré en terre-sainte au « menu peuple de Notre Seigneur,» donnent à croire que dans les rapports avec ses inférieurs, comme dans presque toutes les actions de sa vie, Joinville se laissait guider par le sentiment du devoir. Il est certain toutefois que le sénéchal était loin d’être oublieux de ses droits et qu’il mettait à les défendre une âpreté parfois excessive. N’avait-il pas, comme nous le rappelions tout à l’heure, invoqué bien haut l’absence de tout lien féodal pour refuser le serment que Louis IX lui demandait de prêter à ses enfans ? On le vit plus tard poursuivre avec rigueur deux de ses tenanciers qui, en se faisant bourgeois du roi, l’avaient frustré des redevances auxquelles ils étaient tenus. On le vit surtout entretenir contre l’abbaye de Saint-Urbain, sa voisine, une querelle d’un demi-siècle. Les seigneurs de Joinville tenaient l’avouerie de ce monastère, et on doit reconnaître, à la décharge de tous, qu’il régnait