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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/627

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Sa situation dans le comté s’était encore agrandie ; à un moment même, il avait été mis à la tête du gouvernement de la Champagne lorsque Philippe le Bel fut emmené par son père à la guerre d’Aragon. Toutefois son temps n’était pas entièrement absorbé par les affaires champenoises : en dehors des circonstances officielles telles que l’enquête préliminaire de la canonisation de saint Louis en 1282 ou les noces de sa jeune suzeraine auxquelles il ne pouvait se dispenser d’assister, il avait continué à faire de fréquens séjours à la cour de France. On a prétendu cependant que, dès le début de son règne, Philippe le Bel aurait montré de l’éloignement pour Joinville et qu’il lui aurait même retiré la présidence des grands jours de Troyes que le sénéchal avait exercée jusque-là ; mais, bien que l’absence de documens autorise toutes les suppositions, il se peut aussi qu’il y ait eu de la part de Jean une retraite volontaire. De grands vides se faisaient autour de lui ; sa seconde femme mourut vers cette époque, et le fils aîné de Joinville, le sire de Briquenay, s’était éteint avant elle. Mais le sénéchal avait appris de saint Louis à chercher dans les choses divines une consolation des choses de la terre. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce qu’il eût cherché à oublier pour un temps les affaires humaines, et la reprise de son commentaire du Credo, en 1287, pourrait passer pour un indice de l’état de son esprit. Cette retraite, en tout cas, aurait été temporaire, car, dans les années suivantes, Joinville paraît être venu souvent à la cour de France, et loin de le tenir à l’écart, Philippe le Bel lui confia d’importantes missions.

L’ébranlement général qui résulta du désastre de Courtray, ébranlement dont la révolte de Bordeaux fut un symptôme, pouvait faire redouter les plus terribles conséquences. Le roi ne connaissait guère les scrupules de conscience. Lui fallait-il de l’argent pour continuer la lutte ? Les impôts s’ajoutaient aux impôts ; seule, la forme des levées changeait. Croyait-il profitable à sa politique de retenir prisonniers, contre toute justice, le comte de Flandre et ses enfans ? Il n’hésitait pas à le faire. Qu’il y avait loin de là à cette passion d’équité que Joinville avait vu inspirer tous les actes de saint Louis ! Aussi ne peut-on s’étonner du jugement sévère que le sénéchal porte, dans ses Mémoires, sur la conduite de Philippe le Bel, conduite que sa haute situation lui permettait d’apprécier de très près. Au mois de février 1302, on le trouve de service auprès du roi, et l’on peut se demander s’il n’assista pas, le 11 avril, à cette première réunion des états-généraux où Philippe eut l’habileté d’associer la France à sa lutte contre Boniface VIII. Il est hors de doute qu’il dut, comme tous les autres seigneurs, y être convoqué. Se fit-il représenter par un procureur ?