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avaient été des moins favorables. L’auteur ne survécut guère qu’une dizaine d’années à l’achèvement de son livre, et en admettant que son œuvre ait eu dans l’entourage de Joinville une certaine vogue, cette vogue aurait eu peine à s’étendre au moment même où commençait à dominer l’histoire privilégiée, celle qui recevait à Saint-Denis une sorte de consécration officielle. Or, le texte que l’on avait choisi pour l’insérer dans le corps des chroniques de Saint-Denis au lieu réservé au règne de saint Louis, c’était l’histoire de ce roi par Guillaume de Nangis. Déjà publiée au moment où Joinville commença la rédaction de ses Mémoires, l’emportant sur ceux-ci par certaines qualités d’ordre et d’exactitude matérielle, répandue à de nombreux exemplaires, elle occupait une place d’où l’œuvre du vieux seigneur, adversaire du nouveau régime, ne pouvait la déloger. La mort de Jean ne changea rien à la situation. Son fils Anseau, homme de cour avant tout, perpétuellement à l’affût des largesses royales, était loin d’avoir la même indépendance de caractère, et il ne devait pas se soucier de publier le livre où il était si librement parlé des descendans de saint Louis. Ensuite vinrent les grands bouleversemens de la guerre de cent ans ; qu’importait alors le souvenir des vertus des anciens rois ? La mode était aux étonnantes histoires de ces hardis aventuriers dont Froissart raconte « les grans merveilles et les biaus fais d’armes. » Puis, quand le calme se rétablit, l’influence des humanistes italiens détourna vers l’antiquité romaine les regards que les Français auraient dû ne pas détacher de leurs glorieux ancêtres. Quelques bons esprits échappaient à cet engouement d’où naquit l’épouvantable désarroi moral et politique du XVIe siècle. Un certain Pierre-Antoine de Rieux était du nombre. « Quant à la gloire et vertu, disait-il, si nous voulons diligemment regarder et mesurer l’histoire romaine avecques celle des Françoys, nous trouverons que les Françoys doivent avoir préférence sur la nation romaine : car il n’a esté jamais royaulme dont les roys ayent plus aymé leurs subjectz ne qui ayent faict tant d’honneur à la vertu et religion chrestienne comme ont faict les roys de France. Assez le tesmoignent leurs annales : mais avec le temps, il nous en sera donné plus grande connoissance pour ce que nous trouverons peu à peu ce que le temps, avec la négligence des hommes, nous ont tenu caché jusques à présent. » Ce bon Français devait avoir sa récompense. Bien qu’un aumônier d’Anne de Bretagne, Pierre Le Baud, et un théologien du début du XVIe siècle, Louis Lasseré, eussent connu et cité l’Histoire de saint Louis, Pierre Antoine ignorait aussi bien l’existence de l’ouvrage que le nom de l’auteur, lorsque le hasard lui en fit tomber un manuscrit entre les