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— Fils, que Dieu fasse de toi un saint.

Le jeune homme, tout en me saluant, cherche à lire sur mon visage ; je lui adresse un sourire destiné à le rassurer. Il s’occupe aussitôt de préparer le café que nous devons à la générosité de Mécatl : puis, le chaud breuvage dégusté, après avoir échangé des regards d’intelligence avec chacun de mes deux compagnons, je me dirige vers la cabane.


V.

Je me dirige vers la cabane, réfléchissant. Ce que m’a dit Désidério m’a frappé, me tourmente. Mécatl un criminel ! un criminel fuyant la justice des hommes ! Mécatl, fils exemplaire par son respect pour sa mère ; père si doux, homme si sensé, un… je n’y puis croire. Et cependant sa gravité, sa tristesse morne, cette couche placée au pied d’une croix, sont choses étranges. Est-ce là un excès de dévotion ou une expiation ? Je penche pour la première de ces causes. Au moment où je contourne la cabane, le fameux : « Seigneur, ayez pitié de moi ! » du vigilant perroquet retentit ; fait naître en moi un doute. Songeant à Dizio et à Nitla, je murmure : « Seigneur, ayez pitié d’eux ! »

Je suis sur le seuil de la rustique demeure et je lance, en signe de salut et d’appel, un sonore ave Maria. Ce n’est pas Mécatl qui parait, c’est sa mère. Elle m’annonce que son fils travaille dans les plantations, qu’elle va me conduire près de lui. Je remarque que les paupières de la digne matrone sont rouges, gonflées, qu’elle a dû longtemps pleurer. Elle a pris les devans, me guide ; toutefois, au lieu de se diriger vers les champs, elle rentre dans la forêt, y pénètre. Bien que surpris, je la suis sans mot dire. Elle décrit un demi-cercle, me ramène dans la savane, s’éloigne des arbres. Plus rien autour de nous que l’herbe haute. Elle s’arrête enfin et se tourne vers moi : son visage est en pleurs.

— Qu’avez-vous, bonne mère ? ai-je crié.

— Pare bas, Ticitl me répond-elle, il ne faut pas que les oiseaux du ciel eux-mêmes entendent ce que je veux te dire, ce que je veux te confier, et c’est pourquoi je t’ai conduit ici. Écoute ; seulement, avant tout, dis-moi si tu es chrétien ?

— Je le suis, femme.

— As-tu souffert ?

— j’ai souffert.

— Jure-moi par celle-ci, reprend-elle en ramenant en dehors de son vêtement le chapelet qui lui sert de collier, et en me montrant une médaille sur laquelle sa patronne est représentée les