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— Il faut pourtant que je parle, que tu saches, reprend-elle avec énergie.

Puis, se penchant vers moi, elle murmure :

— Mécatl a tué son père !

Doña Maria s’est affaissée, a courbé son front comme si le crime qu’elle venait de me révéler était sien, et ses larmes coulent. Terrifié, je me tais. Comment, à l’aide de quels mots consoler cette douleur ? Il faudrait ici un prêtre, un homme parlant au nom d’un maître suprême, de Dieu. Je bégaie une phrase.

— Oui ; tu as besoin de savoir, reprend l’Indienne ; eh bien, sache que Mécatl a été un enfant soumis, un adolescent irréprochable. Un jour, le seul de sa vie, il a bu avec excès de ce poison qu’on tire de la canne à sucre, il s’est enivré. Son père, qu’il aimait comme il m’aimait, a oublié qu’il n’avait plus devant lui un enfant, mais un homme, et l’a frappé. Il a riposté par un coup, un seul, et n’a connu « le malheur qu’il avait fait » que le lendemain, en retrouvant sa raison.

— J’ai dû m’attacher à ses pas, reprend doña Maria après un long silence, pour sauver mon fils de sa propre justice, pour l’obliger à vivre. Il a eu mon pardon, celui d’un prêtre, lui seul ne s’est pas encore absous. Partout, toujours, il voit du sang sur ses mains, et quel sang ! Nous avons tous quitté notre village, marché droit devant nous, trouvé le ravin près duquel nous sommes établis. Ma bru est morte il y a deux saisons. Depuis que nous sommes ici, Ticitl, la vie de Mécatl est celle d’un de ces saints dont j’ai entendu lire l’histoire dans un livre, et moi qui « sais » son cœur, qu’il a faite veuve, je le vénère. Hélas ! Dieu n’a pas pardonné ; la mère de Nitla est morte, et Nitla aussi va mourir, mourra.

Je demeurai longtemps pensif.

— Femme, dis-je enfin à doña Maria, il ne faut pas que Nitla meure, il ne faut pas que vous mourriez, votre fils a besoin de vous. Ce que vous venez de me révéler, je l’ai oublié, je vous rends votre terrible secret. Conduisez-moi vers la tombe de votre bru, j’ai besoin de savoir où elle se trouve. mère infortunée, vaillante, reprenez un peu de calme ; je crois que Dieu ne m’a pas amené ici en vain, qu’il a pardonné.

L’Indienne s’agenouille, prend ma main, l’appuie sur son front en signe de remercîment. Elle se relève, se dirige vers la forêt en me parlant de sa bru dont la disparition a ravivé tous les remords, toutes les douleurs de Mécatl. Je suis bientôt devant un tertre gazonné, couvert de plantes aux fleurs jaunes, fleurs de deuil. Doña Maria s’est assise et, à mi-voix, se met à parler à la morte dans sa langue. Je comprends à peine ce qu’elle dit, mais je suis ému,