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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/674

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il a raison quand il ajoute encore : « c’est le bon sens politique élevé à la poésie. » Mais les expressions mêmes dont il use, leur caractère d’abstraction et d’impersonnalité n’indique-t-il pas aussi la nature de la transformation accomplie ? Si l’auteur de ces très beaux vers n’est sans doute pas absent de son œuvre, il ne nous livre cependant que le moins qu’il peut de lui-même ; et son intention n’est pas du tout de traduire ici ses sentimens, à lui, mais bien ceux qui doivent être les nôtres comme les siens.

Une conséquence en résulte, qui est l’effacement ou la décoloration des images. Qui donc a jadis composé un Dictionnaire des métaphores d’Hugo ? C’est qu’en effet les métaphores d’Hugo ne sont point celles de Lamartine, ou de Vigny, ou de Sainte-Beuve, ou de Musset. Et, généralement, n’ayant rien de plus personnel que leur sensibilité, les lyriques, les vrais lyriques n’ont rien aussi qui soit plus à eux que leurs « figures. » Leurs catachrèses expriment leurs états d’âme, et leurs manières d’être se trahissent dans leurs métonymies. Je consens, d’ailleurs, qu’ils en aient d’étranges quelquefois, dont l’étrangeté même révèle ou dénonce quelque chose de morbide. Mais ce n’est pas le point, et il suffit ici qu’une part au moins du lyrisme consiste assurément dans la nouveauté, dans la rareté, dans la beauté des images. Souvent belles et parfois gracieuses, les images de Malherbe ne sont point nouvelles, ou, quand elles le sont, elles n’ont pas l’air de l’être. Elles ont surtout je ne sais quoi de moins expressif qu’allégorique, d’éloigné de sa source, et comme d’inéprouvé. La sensation du poète ne vibre pas dans son vers, et il ne semble pas qu’il ait essayé de la fixer toute vive. Ou plutôt il n’a rien senti, que d’une émotion purement intellectuelle, et sachant ce qu’il voulait dire, c’est alors seulement que, pour le mieux dire, d’une manière plus vive, qui frappe davantage, et qu’on retienne mieux, il a cherché de quelle image il pourrait revêtir sa pensée. C’est le contraire même de l’invention lyrique, si le propre en est de suggérer les idées par les images et non pas de surajouter les images aux idées.

En même temps que les images pâlissent, le mouvement se ralentit, se règle, ou se compassé. Je veux parler de ce mouvement dont les inflexions, si je puis ainsi dire, imitent, reproduisent et nous communiquent la diversité, la soudaineté, la contrariété des émotions du poète. Tantôt plus lent et tantôt plus pressé, plus fort ou plus doux, plus impétueux ou plus languissant, il est, dans l’ode ou dans l’élégie, comme le souvenir de leur alliance avec la musique, et à ce titre il fait une partie nécessaire de la notion ou de la définition même du lyrisme. C’est pourquoi, chez tous les grands lyriques, indépendamment de la valeur des idées ou du sens