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fait à ce propos une note curieuse. Il vient de lire l’Ode à Marie de Médicis, et il écrit : « Au lieu de l’insupportable et fastidieux amas de galanterie dont Malherbe assassine cette pauvre reine, un poète fécond et véritablement lyrique, en parlant à une princesse du nom de Médicis, n’aurait pas oublié de s’étendre sur les louanges de cette famille illustre, qui a ressuscité les lettres et les arts en Italie, et de là en Europe. Comme elle venait régner en France, il en aurait tiré un augure favorable pour les arts et la littérature de ce pays. Il eût fait un tableau court, pathétique et chaud de la barbarie où nous étions jusqu’au règne de François Ier…Je demande si cela ne vaudrait pas mieux pour la gloire du poète et le plaisir du lecteur. Il eût peut-être appris à traiter l’ode de cette manière s’il eût mieux lu, étudié, compris la langue et le ton de Pindare qu’il méprisait beaucoup, au lieu de chercher à le connaître un peu. » Mais Chénier n’a pas vu que ce que Malherbe « méprisait)) dans Pindare, c’était justement cette manière de s’échapper de son sujet, d’entraîner, d’emporter avec lui son lecteur ou plutôt son auditoire à sa suite, et de lui imposer sa manière de sentir. Malherbe va par les routes frayées, connues et fréquentées de tous, qu’il élargit, qu’il aplanit, qu’il consolide, qu’il rectifie, mais dont il ne veut pas que jamais on s’écarte. Relisez là-dessus telle strophe d’une autre ode à Marie de Médicis : Sur les heureux succès de sa régence.


C’est en la paix que toutes choses
Succèdent selon nos désirs ;
Comme au printemps naissent les roses,
En la paix naissent les plaisirs ;
Elle met les pompes aux villes,
Donne aux champs les moissons fertiles,
Et, de la majesté des lois
Appuyant les pouvoirs suprêmes,
Fait demeurer les diadèmes
Fermes sur la tête des rois.


Laissant le rythme à part, cette strophe ne diffère de celle que nous avons citée plus haut que par les « circonstances ; » et les circonstances ne sont données que par la « situation. » Il parle ici de « printemps » et de « roses, » de « plaisirs » et de « pompes, » comme s’adressant à une femme, de même que, tout à l’heure, s’adressant à un homme, il parlait de « tambours » et de « fer, » de « tours » et de « remparts. » Son goût personnel n’est de rien dans le choix de ces mots. Également royales, ces images conviennent, par elles-mêmes, les unes à la reine et les autres au roi. « Quelle auguste et souveraine image de la stabilité ! » s’écrie ici Sainte-Beuve ; et