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on le voit, que de nos prosateurs. En un certain sens, ils doivent tous quelque chose à Malherbe, s’ils doivent tous quelque chose à la transformation que nous avons essayé de décrire. Logique et clarté, précision, simplicité de l’ordonnance et netteté du style, toutes ces qualités étaient presque étrangères à nos écrivains du XVIe siècle, et il est vrai, malheureusement, que nous en faisons aujourd’hui bon marché. Nous donnerions une Provinciale pour une métaphore nouvelle. Mais encore faut-il bien savoir que nos subtilités se développent à l’ombre, pour ainsi parler, de notre ancienne littérature, si c’est elle autrefois qui a fait la fortune de l’esprit français. Les étrangers ne l’ignorent pas, et qu’aucune autre ne saurait se vanter d’avoir exercé pendant cent cinquante ans une pareille action dans le monde. La gloire, ou le bonheur, ou la chance de Malherbe est d’être aux origines de cette influence, et son habileté, ou son adresse, ou son talent d’avoir compris qu’il n’avait, pour le mériter, qu’à se laisser faire aux circonstances.

Car, pour achever la démonstration, veut-on savoir ce qu’il serait advenu de lui, s’il avait, comme il le pouvait, continué d’imiter Desportes au lieu de le combattre ? L’histoire de Régnier, mais surtout celle de Théophile et de Saint-Amant nous l’apprennent ; et, pour le dire en passant, c’est ce que n’ont pas vu ceux qui, de notre temps, ont prétendu les venger des critiques de Boileau. Ils avaient bien, l’un et l’autre, autant de talent, chacun en son genre, que Malherbe dans le sien ; et, dans leurs œuvres à tous deux, les vers heureux, les vers gracieux, les vers pittoresques abondent. Qui ne connaît la Solitude ?


Dans ce val solitaire et sombre,
Le cerf qui brame au bruit de l’eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S’amuse à regarder son ombre.

De cette source une Naïade
Tous les soirs ouvre le portal
De sa demeure de cristal
Et nous chante une sérénade…


« Comme ce brusque début vous transporte loin du monde, au milieu du calme, du silence et de la fraîcheur ! » disait un autre Théophile ; et comme on y respire, ajouterons-nous, ce sentiment de la nature qu’au contraire on rencontre si rarement dans Malherbe ! Le sonnet des Goinfres, ou tel autre encore de Saint-Amant ne sont guère moins célèbres :