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si simple, et je ne pense pas, surtout je n’écrirai pas, comme un de mes confrères, que dans cette histoire de délicatesse d’amour, « il n’y a pas de quoi fouetter un chat. » Déjà, au sujet de Terre promise, la critique, certaine critique du moins, à laquelle ici même et récemment on a répondu, fit preuve d’un pareil aveuglement, ou d’une myopie pareille. En matière de conscience et d’honneur sentimental, c’est peut-être n’y pas regarder d’assez près. Mais notre siècle ne finit pas dans le scrupule. Je n’ai garde, pour moi, de trouver si négligeables ni le « cas » du beau roman de M. Bourget, ni celui de l’imparfaite, mais attachante comédie de M. Hervieu. Elle aurait pu être tout à fait délicieuse ; elle l’est presque à demi ; c’est quelque chose. Et puis, du jeune et subtil écrivain, si nous espérions cette finesse, nous pouvions craindre aussi de la futilité, surtout de la sécheresse. M. Hervieu nous a donné justement le contraire, et c’est par la grâce attendrie, par la sensibilité délicate qu’il nous a le plus surpris et charmé.

C’est un charme également, et un peu une surprise aussi, que l’interprétation douce, fière, harmonieuse et nuancée, sans rien de brusque ni de rauque, du personnage de Régine par Mlle Brandès. Quant à M. Pierre Berton, il gémit le rôle de Nohan, le pleure, le sanglote avec toute son âme, et cette âme ressemble à celle d’un violoncelle éperdu.

Il y a peu de chose à dire de Jean Darlot, représenté et représenté admirablement par la Comédie-Française. Ce n’est pas que la pièce de M. Legendre nous ait paru mauvaise, médiocre seulement. Sans avoir de gros défauts, elle n’a pas non plus de grandes qualités. Elle en a de moyennes : l’honnêteté, la tenue, la simplicité du fond et de la forme, le tout employé à une peinture superficielle, j’en conviens, mais assez juste sans trivialité, des mœurs populaires ou plutôt ouvrières.

Mme Boisset et sa fille Louise sont deux pauvres femmes qui tiennent, dans Abbeville, une boutique de journaux et un modeste cabinet de lecture. Leur existence est précaire et leurs affaires vont mal. Aujourd’hui même, l’argent du terme n’a pu se trouver. Louise est fière, distinguée, aimant la lecture et la rêverie. Pour elle, pour l’élever un peu au-dessus de sa condition, sa mère a fait de secrets sacrifices. Assise à son guichet vitré, elle est bien jolie, la petite marchande de journaux, et tout le monde, trop de monde l’aime. D’abord André, son cousin, qui n’ose le lui avouer. Il l’avoue bien à Mme Boisset, mais comme il n’a pas le sou, que demain il partira pour le régiment, sa demande n’est pas même communiquée à la jeune fille. Un autre amoureux de Louise, c’est Jean Darlot, ouvrier mécanicien de chemin de fer, un peu gauche, fruste, mais loyal et généreux. Le troisième galant est M. Langlois, l’avide et libidineux propriétaire de la boutique. Mme Boisset ne pouvant lui payer son terme, il propose à la pauvre mère de vilains accommodemens. Elle refuse avec indignation et n’aurait plus qu’à déguerpir ainsi que sa fille, si le bon mécanicien