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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/707

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il est d’une âme ardente, ce nouveau cri, d’une âme qui rêvait l’amour vraiment éternel, c’est-à-dire sans commencement comme sans fin : « Ah ! vous ne m’aimez pas, puisqu’il y a eu un moment où vous ne m’avez pas aimée ! »

Tout cela est touchant et ce qui suit est pathétique. On annonce inopinément le baron Missen, et Régine, affolée d’indignation : — « Vous arrivez à propos ! s’écrie-t-elle en balbutiant. Voilà monsieur qui m’accusait… Eh bien ! confirmez ses soupçons, dites-lui, mais dites-lui donc que j’ai été réellement pour vous,.. enfin que vous êtes mon !.. » — Et devant le mot qu’elle ne saurait prononcer, elle s’enfuit éperdue.

Alors, malheureusement, les choses commencent à se gâter, et jusqu’au bout. Les deux hommes se provoquent, se battent, et je me demande comment un second acte aussi distingué peut être suivi d’un troisième acte aussi ordinaire, comment à des péripéties toutes de sentiment, M. Hervieu, tombant de Marivaux à M. George Ohnet, a pu donner un dénoûment de fait et de mélodrame. Je n’ai qu’une médiocre envie de vous raconter cet épilogue ; mais peut-être tenez-vous à savoir que M. de Nohan a reçu dans la gorge un coup d’épée qui l’a mis en péril de mort. Nous le voyons très pâle, très faible, assis devant une petite maison de garde, où on l’a transporté, le col entouré d’un foulard noir assez désagréablement suggestif. La maladie, au théâtre, ne paraît jamais que pénible, à moins qu’elle ne soit, par exemple dans Mariage blanc, le sujet même de l’œuvre, la source de l’émotion et d’une émotion morale encore plus que physique. Tel n’est pas le cas ici. À Nohan, qui s’est battu pour elle, Régine a naturellement pardonné. Plus que jamais elle l’aime ; elle l’épousera, peut-être, hélas ! in extremis. Mais non ! Le jeune homme va mieux et le chirurgien répond de lui, pourvu que toute émotion lui soit épargnée. Par malheur, tandis que Régine et Nohan se parlent d’amour, cachés sous la fouillée, quelques « amis, » Mme de Mandre et autres bonnes âmes, arrivent pour prendre des nouvelles. En attendant, on jase, on commente cruellement, outrageusement, et ce duel, et cette blessure, et ce mariage, qui a tout l’air d’une réparation, d’un marché peut-être, en tout cas d’un scandale. Nohan les entend ; il s’élance, mais soudain il porte la main à sa gorge, chancelle et tombe mort. — « Mon Dieu ! balbutie alors un de ces méchans bavards, nous ne pouvions deviner, nous ne nous doutions pas… et puis, les paroles, cela vole… » — Non, les paroles restent, et elles tuent.

Au lieu de cette fin trop vulgaire et cherchée dans les événemens, j’en aurais souhaité une autre, purement psychologique et prise dans l’ordre intérieur seulement : ni duel, ni agonie, ni hémorragie foudroyante ; une autre blessure à guérir, la blessure d’âme. Le dénoûment devait consister tout simplement dans cette guérison, dans le pardon de Régine. Quand je dis tout simplement, cela n’était pas encore