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D’autres, Israélites ou chrétiens, m’ont fait observer que je m’étais arrêté à mi-chemin. « C’est bien d’avoir fait la psychologie du Juif, m’écrivait un anonyme, — de ces correspondans d’occasion, plus ou moins bienveillans, nous en avons souvent à la Revue — mais pour nous faire connaître le Juif, et nous montrer son rôle chez les nations modernes, il ne suffit point de nous dépeindre les qualités de son intelligence ou les défauts de son caractère. Il faudrait autre chose. Il serait bon d’examiner s’il y a un génie, et s’il y a un esprit juif, c’est-à-dire si dans les lettres, dans les arts, dans les sciences, dans la politique, le Juif se distingue par un génie national, ou un esprit national, foncièrement différent de celui des nations soi-disant aryennes au milieu desquelles il vit. » Mon correspondant avait raison ; car, si le Juif a vraiment un génie national distinct et un esprit national particulier ; si, par sa nature intellectuelle et par ses tendances morales, il diffère radicalement de nous, c’est alors que l’ascendant que prend Israël parmi les peuples modernes menace de les dénationaliser. Le Juif, au contraire, n’a-t-il ni génie, ni esprit national, que signifie « la judaïsation » des sociétés contemporaines ?

Cette question, pourquoi ne pas le dire ? je me la suis souvent posée depuis quinze ans. Elle est des plus délicates et des plus complexes. Pour qui ne veut pas la trancher selon sa fantaisie ou ses préjugés, je ne vois qu’une manière de la résoudre : c’est de prendre les écrivains, les artistes, les savans, les philosophes, les politiques d’origine juive, et de voir s’il y a entre eux quelque chose de commun qui les distingue des écrivains, des savans, des artistes du même pays et de la même époque. Ce travail, pour ne pas dire ce jeu d’esprit, je m’y suis souvent amusé, en dilettante cosmopolite, curieux de tous les arts et habitué à voyager à travers les cinq ou six grandes Littératures. J’ai toujours beaucoup aimé ce qu’on pourrait appeler la psychologie nationale comparée ; c’est pour moi le grand attrait des études de politique étrangère, aussi bien que de l’histoire de l’art. À quoi je suis arrivé pour le Juif, je vais essayer de le dire sans pédantisme, ni prétentions scientifiques. Je m’en tiendrai, de préférence, aux artistes et aux écrivains, laissant pour une autre étude ce qui touche la politique ou l’économie sociale